L’argument donné par l’auteur en première page est le meilleur résumé possible.
« Heurs et malheurs de la célèbre Moll Flanders, qui naquit à Newgate, et, pendant une vie continuellement variée qui dura soixante ans, en plus de son enfance, fut douze ans une catin, cinq fois une épouse (dont une fois celle de son propre frère), douze ans une voleuse, huit ans déportée pour ses crimes en Virginie, et enfin devint riche, vécut honnête et mourut pénitente. D’après ses propres mémorandums. » (p. 25)
Voici donc les mémoires repentants de Moll Flanders, très jolie femme que le destin malmène sans cesse. Dès l’ouverture de son récit, la narratrice sait convoquer la pitié du lecteur et démontrer que les malheurs sur sa route ne sont pas de sa responsabilité, ou pas tout à fait. « C’est la demande la plus raisonnable qui soit au monde que ne point vous blâmer pour ce qui n’est point de votre faute. » (p 169) Tout en affirmant sa grande honnêteté et sa grande sincérité, elle bat sa coulpe en expliquant que ses différentes déchéances sont le résultat de faits indépendants de sa volonté.
Moll Flanders est venue au monde dans une situation peu favorable, mais avec des ambitions et une sainte horreur à la perspective d’entrer en service chez les autres. Moll veut devenir une dame de qualité, sans vraiment savoir ce que cela signifie, avoir du bien et se marier à un homme bon et beau. Mais elle est coquette et un brin écervelée. « Quand une jeune personne se trouve belle, elle ne doute jamais de la sincérité d’un homme qui lui dit être amoureux d’elle ; car, si elle se croit assez charmante pour le captiver, il est naturel d’en attendre les effets. » (p. 59) Après s’être fait embobiner par un beau parleur, Moll veut croire qu’elle a gagné en jugeote et elle ne manque pas de parsemer son récit d’habiles conseils à l’attention des représentantes de son sexe.
Le long récit ininterrompu (plus de 500 pages sans chapitre !) fait défiler les années et les maris. Moll Flanders enchaîne les bonnes et les mauvaises fortunes avec une capacité déconcertante à toujours retomber sur ses pattes et à se tirer des pires situations. Elle sait également se débarrasser de ce qui pourrait constituer un frein. Sur les 6 ou 7 enfants (j’ai fini par perdre le compte) qu’elle a de ses différents maris, elle n’en garde qu’un auprès d’elle, les autres étant disséminés entre l’Angleterre et la Virginie. Ce n’est pas l’instinct maternel qui l’étouffe, c’est certain !
J’ai lu ce roman d’un œil sans cesse goguenard et méprisant et n’ai éprouvé aucun attachement pour cette femme fort habile à tirer parti des pires situations en clamant ses grands dieux qu’on ne l’y reprendra plus ou qu’elle est une femme de qualité. Tout le talent de Daniel Defoe est d’écrire l’histoire d’une fille perdue en appelant à la pitié de ses lecteurs tout en faisant de son mieux pour que cette pitié ne s’enracine jamais. Dans le genre « malheur d’une jeune fille pure et pauvre », j’ai largement préféré Tess d’Urberville de Thomas Hardy, plus sombre, moins pontifiant et dont le nombre réduit de péripéties rend l’intrigue plus crédible. J’ai vu que Moll Flanders avait fait l’objet de plusieurs films. Peut-être en chercherais-je un pour voir comment cette histoire passe à l’écran, pas tout de suite. J’ai ma dose de Moll Flanders pour un moment !