Bande dessinée d’Alain Ayroles (scénario) et Jean-Luc Masbou (dessin).
Résumé du coffret – Le rideau se lève sur la Venise du Grand Siècle, cité des saltimbanques et des spadassins, où le verbe est une arme et l’escrime est un art. Dans ces deux domaines, Armand Raynal de Maupertuis et Don Lope de Villalobos y Sangrin sont passés maîtres. Le premier est gascon, fine lame, poète, hâbleur, rusé ; c’est un renard. Le second est andalous, bretteur redoutable, hidalgo, ombrageux, féroce parfois ; c’est un loup. Ces deux gentilhommes en quête de gloire et de fortune vont embarquer pour une chasse au trésor qui les mènera de geôles en galères, d’abordages en duels, jusqu’aux confins des mondes.
Il est beau ce coffret, hein ?
ATTENTION RÉVÉLATIONS – Je chronique l’intégralité de la série, donc si vous voulez découvrir ces bandes dessinées, lisez en diagonale…
Acte I : Le secret du janissaire – Acte II : Pavillon noir.
Don Lope de Villalobos y Sangrin et Armand Raynal de Maupertuis sont deux amis et hommes d’honneur. Enfin, loup et renard d’honneur. Un soir, pensant voler au secours de Cénile Spilorcio , vieil homme éploré, ils découvrent une carte vers le trésor des îles Tangerines. C’est ici que commence leur fabuleuse épopée au départ de Venise. Ils rencontrent Kader le Maure et Mendoza le fourbe capitan. Don Lope s’éprend de la belle Hermine, mais leur amour est impossible. « Vos aveux m’émeuvent et votre beauté me trouble, ardente enfant ! Hélas… tout nous sépare ! Regardez-moi, regardez-nous. Vous êtes bohémienne… je suis hidalgo ! » (p. 21) De son côté, Armand tombe sous le charme de la blonde Séléné, jeune beauté dont le destin est d’épouser l’avide barbon qu’est Spilorcio. Envoyés aux galères par ce même barbon, Armand et Lope rencontrent le lapin Eusèbe : blanc, dodu et mignon, ce petit bout d’animal ne s’en laisse pas conter. Armand, Lope, Eusèbe et Kader sont désormais unis dans une même quête : découvrir avant les vilains les îles Tangerine et délivrer les belles en détresse.
Brièvement débarquée à Malte, notre fine équipe fait encore parler d’elle : « On a aperçu le loup ! Il a pris d’assaut une chaise à porteurs, à l’aide d’un cul-de-jatte et d’un lapin ! » (p. 66) Mais les quatre compères ne restent pas longtemps sur le plancher des vaches et embarquent sur un navire-pirate pour reprendre possession de la carte au trésor. Hélas, rien ne va dans le sens prévu et les voilà tous les quatre perdus sur un rocher au milieu de l’océan, jusqu’à ce que surgisse un navire-fantôme, l’illustre Hollandais Volant. Une fois qu’ils auront percé le mystère de ce bateau, Armand, Lope, Kader et Eusèbe reprendront la mer à la recherche du trésor des îles Tangerines. « Gageons qu’à force de volonté, d’astuce et de bonne humeur, nous saurons convaincre Dame Fortune de nous présenter un plus riant visage ! » (p. 96) Voilà tout ce qu’on peut souhaiter à nos chers amis…
Les traditionnels remerciements que l’on trouve à la fin de ce premier volume sont adressés à Jean de la Fontaine, Jean-Baptiste Poquelin et Jean-Yves Gaubert. Les auteurs ont de l’humour et de la culture et ils n’ont pas froid aux yeux quand il s’agit de s’attaquer à des monuments de la culture classique. Il est très appréciable de les voir malmener un peu ces mythes, mais surtout les célébrer en leur donnant un coup de neuf…et un coup de patte ! La suite avec le prochain volume !
Acte III : L’archipel du danger – Acte IV : Le mystère de l’île étrange.
Bien du monde fait voile vers les îles Tangerines. Le capitan Mendoza et l’infâme Cénile Spilorcio, ainsi que le captain Boon est ses marins crétins. « Captain ! Je suis malade ! / Un pirate ne vomit pas ! » (p. 24) Mais nos amis canidés ont déjà débarqué sur cette île étrange avec la pierre de Lune qui semble si essentielle à la découverte du trésor. Ils rencontrent Bombastus Johannes Theophrastus Almagestus Wernher von Ulm, savant un peu toqué et fasciné par les machines volantes et autres aéronefs. Ah, les belles îles Tangerines ! Leurs arbres à fromage (pas encore fait à cœur), ses mystères, ses aborigènes… Déjà attristés d’avoir perdu Kader et Eusèbe, Armand et Lope se retrouvent en fâcheuse position, dans une marmite. « Dites donc, Bombastus ! Cela vous navrerait-il le fondement de nous prêter main-forte ? » (p. 47) Pas sûr que nos beaux amis poilus apprécient de passer à la casserole !
Mais le Maure et le lapin sont saufs, heureusement ! Avalés par un monstre des mers, ils tentent de trouver la sortie de ce grand gosier putride pour retrouver leurs compagnons d’aventure. Pendant ce temps, jamais à court de ressources, Armand et Lope ont échappé à la tambouille et, avec Bombastus le fêlé, explorent l’île principale de l’archipel qui cache de nombreux mystères. « Une chose est sûre : ce lagon est aussi nébuleux que vos extrapolations. » (p. 70) Et, ô surprise !, si or et gemmes il y a sur l’île, la fortune n’est pas d’ici, elle est de la Lune. À la fin de ce deuxième volume, Armand et ses compagnons sont confrontés à d’étranges créatures, des Sélénites. Quelque chose nous dit que les îles Tangerines n’étaient qu’une escale dans le grand voyage des compagnons !
Avec ce double volume, les auteurs nous font plonger dans un univers qui bascule clairement dans le merveilleux et le fantastique. Si nous sommes toujours en pleine Renaissance, nous glissons vers des scènes étranges où le théâtre peut vous sauver la vie… La suite au prochain acte !
Acte V : Jean sans Lune – Acte VI : Luna incognita.
Nous avons laissé nos charmants héros en compagnie des Sélénites, ces habitants de la Lune qui rêvent de retourner sur leur astre. À la tête de cette pale société, il y a le prince Jean, frère du Roi de la Lune. « Ce Sélénite est lunatique ! » (p. 9) En effet, l’homme est difficile à cerner, capable de sacrifier des innocents pour son plaisir. Depuis des années, il jette à la mer des bouteilles contenant des cartes au trésor dans l’espoir qu’on lui apporte une pierre de Lune, élément indispensable pour permettre aux Sélénites de rentrer chez eux. Voici nos héros embarqués plus ou moins malgré eux vers l’astre lunaire. Objectif Lune !
Enfin réunis, Armand, Lope, Eusèbe et Kader ont également retrouvé Hermine et Séléné. Le petit lapin fait fondre le cœur des dames, ce qui n’est pas du goût de leurs galants respectifs. Chaud (lapin) devant ! Toute cette compagnie a embarqué sur le Tétrodan ascensionnel de Bombastius. Quant au savant, il a chu de l’aéronef au décollage. Plus que jamais résolu à mettre le pied sur la Lune, il offre ses services au fourbe Mendoza pour lui permettre d’atteindre à son tour l’astre de la nuit. Le capitan ne cache plus sa soif de richesse. « Mais je vous offre bien plus que l’or ! Oui… Je vous promets la Lune ! » (p. 66) Décidément, l’astre pâle suscite bien des convoitises ! En effet, si le prince Jean voulait y revenir, c’est pour se venger d’avoir été exilé et prendre la place de son frère. Le roi en appelle aux compagnons bretteurs pour sauver son trône et la paix de son blanc royaume. « Messieurs les gentilshommes, l’avenir de la Lune est entre vos mains ! » (p. 85) Pour ce faire, Armand et Lope partent à la recherche d’un fameux et mystérieux maître d’armes qui est le seul à pouvoir regrouper les cadets de la Lune.
L’épopée de ce troisième double volume n’est pas sans rappeler L’histoire comique contenant les états et empires de la lune de Cyrano de Bergerac, auteur des Lumières passionné par les voyages stellaires. Pour avoir étudié cet ouvrage, j’en garde le souvenir d’un philosophe et d’un poète fabulant sur les mystères des peuples des étoiles. Ne cherchez pas ici des principes de pression atmosphérique ou d’air respirable ! Vous trouvez que tout cela manque de réalisme ? Parce qu’un lapin qui parle, ça vous semble réaliste ? Zou, incrédules, les auteurs ne vous ont pas promis la Lune, mais un excellent moment de lecture. Force est de constater qu’ils ont tenu parole !
Acte VII : Chasseurs de chimères – Acte VIII : Le maître d’armes.
Sur la Lune, les choses vont différemment que sur la Terre. Les duels d’honneur se règlent au dernier mot et non au premier sang. « L’ultime alexandrin sera le coup de grâce, assénant sans merci douze pieds dans ta face ! » (p. 5) Armand et Lope cherchent le maître d’armes sur la face cachée de la Lune, zone étrange habitée par des chimères pendant que Mendoza et le prince Jean ourdissent un odieux complot pour déchoir le roi de la Lune. Les pirates du captain Boon sont toujours aussi crétins et ils ont toujours aussi peur d’Eusèbe. « Ô fatal rongeur ! Némésis lagomorphe ! Jonas aux longues oreilles qui va attirer sur ce galion épouvante et malheur ! » (p. 40) Comment mettre en déroute un sanguinaire équipage de corsaires ? Un petit lapin blanc suffit ! Au terme d’un long périple, Armand et Lope arrive à la forteresse de cristal, là où réside le maître d’armes.
Or, il se trouve que le maître d’armes, au premier abord, n’est pas des plus aimables. « Si j’ai bien saisi, il dit qu’on pue ? / En alexandrins. » (p. 58) En effet, l’homme d’armes est également un expert en rimes et il manie la lame et la langue avec autant d’habileté. Ah, j’oubliais ! Ce fameux maître d’armes est doté d’un nez – que dis-je ! – d’un cap, d’une péninsule… L’ayant ramené à des sentiments plus urbains, Armand et Lope convainquent le maître d’armes de participer à la défense du roi alors que le prince Jean et Mendoza font marcher leur armée vers la cité. Et l’on comprend que l’odieux capitan ne sert que son propre intérêt. « Savoure ta gloire, petit prince. Tu apprendras bientôt qui est le vrai maître de la Lune ! » (p. 92) C’est une âpre bataille qui s’ouvre sur les plaines lunaires. Nos héros en sortiront-ils indemnes ?
Attention, festival de références, de clins d’œil, de détournements et de blagues pour initiés ! Mais avec le début des vraies hostilités et les premières batailles, le ton devient un peu plus sombre, moins propice à la bouffonnerie. Carne y sangre et Maupertuis, ose et rit ! sont les cris de guerre des deux amis canidés. Et ils résonnent avec puissance sur les pâles champs de bataille de la Lune. Vite, la suite !
Acte IX : Revers de fortune – Acte X : De la Lune à la Terre.
La bataille entre les fiers compagnons terriens et l’armée de Mendoza a viré au drame. Le maître d’armes est en fâcheuse posture et le prince Jean s’est emparé du trône. Armand et ses compères ont fort à faire pour rétablir la paix sur le blanc satellite. « Qu’il soit né de la terre ou du sol sélénite, qu’il soit mime ou disert, un honnête homme habite un pays que ne borde aucun mur mitoyen : de l’immense univers, il est le citoyen ! » (p. 46) Le loup hidalgo, le renard gascon et leurs compagnons pourront-ils enfin revenir sur Terre ?
Hélas, la fin des hostilités entre les Sélénites est suivie par une brouille entre Armand et Lope à cause d’un malentendu et d’amours contrariées. Venir sur la Lune pour en venir aux mains ? Voilà qui est vraiment dommage ! Espérons que les amis sauront se retrouver, surtout parce que Mendoza, bien que défait, nourrit toujours une rage folle entre les valeureux compagnons. « Avec ses mièvreries, sa bonté sirupeuse, ses petites mines et son pelage soyeux, ce lapin incarne tout ce que j’abomine ! » (p. 79) Ah, puisque je vous dis que ce Mendoza est un lugubre personnage ! Heureusement, nos amis s’en tirent et le retour sur Terre est plein de promesses, chacun ayant retrouvé sa chacune, ou presque. Et tout s’achève sur un bisou de lapin !
Ce dernier double volume clôt toutes les intrigues et achève toutes les pistes. Mais il y a comme un petit quelque chose qui me dit qu’une suite est possible. Ah, retrouver Le rusé Armand, le fier Lope et l’adorable Eusèbe ! Ah, repartir à l’aventure, vers la Lune ou ailleurs, en compagnie de ces compagnons d’honneur et de bravoure ! Quel bonheur de découvrir cette saga et de la lire d’un seul tenant. Je vous la recommande, amis des belles lettres et des jolies bulles !
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Dans cette bande dessinée, il est tout à fait normal de voir un loup et un renard porter chausses, rapières et chapeaux à plume. Impertinents et charmants, ils ont du toupet et du panache ! Armand déclame des alexandrins dans les grands moments et Lope a peur des rats. Cette bande dessinée fait fi de l’âpre et tenace querelle entre le renard et le loup, véhiculée par les écrits médiévaux : ici, le goupil et le loup sont frères d’armes et frères de cœur. Détail mignon qui a son importance, l’adorable Eusèbe. Sachez qu’on a toujours besoin d’un petit lapin ! Ce charmant compagnon dodu et câlin tombe très souvent à pic et tire ses compagnons de mauvais pas et de situations délicates.
Au fil des pages, il vole des injures et des noms d’oiseaux qu’un certain Haddock ne renierait pas. Que dites-vous de ces sublimes épithètes : lymphatique endive, psychopompe barbu, gypaète ostéoclaste ? L’humour qui imprègne ces bandes dessinées est à la fois fin et potache et il manie aussi bien les références littéraires et théâtrales des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles ainsi que des répliques de cinéma.
Le coffret est un superbe objet, massif et élégant. Les jaquettes des doubles volumes sont douces et épaisses. Et que dire des deuxièmes et troisièmes de couverture qui présentent des cartes très détaillées, à la façon des anciens parchemins sur lesquels les explorateurs s’attachaient à décrire les mille et unes merveilles des mondes inconnus. Alors, n’hésitez pas, prenez le large avec Don Lope de Villalobos y Sangrin et Armand Raynal de Maupertuis et embarquez pour une lecture divertissante, drôle, plaisante, passionnante !