L’accompagnatrice

Roman de Nina Berberova.

Sonetchka porte sa bâtardise comme un fardeau, comme une malédiction. « Je compris que maman était ma honte, de même que j’étais la sienne. Et que toute notre vie était une irréparable honte. »  (p. 13) Au début du vingtième siècle, les deux femmes vivent chichement dans un petit appartement, donnant quelques leçons de piano qui ne leur rapportent que de maigres émoluments. Tout change pour Sonetchka quand Maria Nikolaevna Travina, cantatrice au succès grandissant, l’engage pour être son accompagnatrice. « Je sentais que c’était la vie qui s’élançait vers moi, et que je me précipitais vers elle, en cet inconnu velouté. »  (p. 47)

La terne Sonetchka entre alors dans l’intimité de la lumineuse Maria Nikolaevna, à tel point qu’elle partage le quotidien du couple Travine et qu’elle soupçonne rapidement que la belle chanteuse a un amant. Entre fascination et jalousie, la jeune pianiste s’attache inexorablement à Maria Nikolaevna et la suit quand elle décide de fuir Pétersbourg avec son mari, au début de la révolution d’octobre. De Moscou à Paris, la pauvre bâtarde se heurte aux fastes d’une bourgeoisie où elle n’a pas sa place et dont elle veut se venger. « J’avais découvert le point faible de Maria Nikolaevna, je savais de quel côté j’allais la frapper. Et pourquoi ? Mais parce qu’elle était unique, et des pareilles à moi il y en avait des milliers, parce que les robes qui l’avaient tellement embellie et qu’on retaillait pour moi ne m’allaient pas, parce qu’elle ne savait pas ce que sont la misère et la honte, parce qu’elle aime et que moi, je ne comprends même pas ce que c’est. » (p. 74) La fin de la collaboration entre Sonetchka et Maria Nikolaevna sera tragique, comme dans les meilleurs romans russes, mais la victime n’est peut-être pas celle que l’on attend.

Ce roman est presque une nouvelle tant sa concision et sa précision frappent au cœur. Dans ce journal de femme, on découvre des scènes qui, entre esquisses et ellipses, dessinent une géographie intime tourmentée. Le plus important dans cette confession réside dans tout ce qui n’est pas dit, mais deviné. Voici le premier roman de Nina Berberova que je lis. Désormais, il me faut continuer pour retrouver cette plume exceptionnelle.

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