Alain Wagneur est directeur d’une école parisienne. À l’occasion d’une formation, il s’interroge sur le sort des milliers d’enfants juifs qui fréquentaient les écoles de la capitale pendant la Seconde Guerre mondiale. « Comment fait-on la rentrée lorsque tous les élèves ont été arrêtés, parqués dans des camps, déportés vers une destination inconnue ? » (p. 21) Wagneur se lance dans une recherche ambitieuse : comment l’école républicaine a-t-elle réagi devant les lois antijuives ? Dans les registres, que sont devenus les enfants juifs ? L’auteur propose une histoire de l’École en tant qu’institution et une histoire des écoles en tant que lieux de passage et d’apprentissage « Les bâtiments scolaires illustrent l’histoire de la République. » (p. 15)
L’auteur fréquente les archives nationales et départementales, exhumant des lettres, des circulaires, des rapports et des cahiers de liaison, à la recherche d’une manifestation quelconque en faveur de la protection des écoliers juifs. « La première manière de signaler la déportation d’un élève, c’est de ne rien écrire. » (p. 178) Ses conclusions sont édifiantes, mais jamais accusatrices. Il n’est plus temps de jeter la pierre, ni de pointer du doigt le silence de l’institution scolaire. Car il n’est pas facile d’être un juste parmi les nations quand la peur de l’occupant et le poids de l’administration entravent la révolte et la résistance. Humblement, l’auteur mène un travail qui tient plus du devoir de mémoire que de l’accusation. « L’école doit bien ces quelques graines de souvenir à ses anciens élèves. » (p. 233) Alain Wagneur rappelle qu’avec la triste affaire Merah, l’antisémitisme parvient encore sans difficulté à pousser la porte de l’école, alors que ce lieu et cette institution devraient être les meilleurs remparts offerts aux enfants de toute confession et de toute origine contre les assauts du monde. Il ne sera jamais vain de « réaffirmer l’inviolabilité de l’école ».
Alain Wagneur ne fait pas qu’interroger les archives et le passé, il se questionne aussi en tant qu’homme, tentant d’imaginer son attitude face au régime de Vichy. Il fait le récit de sa recherche et de ses résultats, doutant de sa légitimité à aborder son sujet. « Comment parler des Juifs lorsqu’on est directeur d’une école laïque ? » (p. 95) Entre récit personnel et réflexion historique, Alain Wagneur propose une sorte de texte policier, mais différent de ceux dont il est coutumier. Ici, le coupable est connu de tous et le destin des victimes l’est tout autant : ce qui importe donc n’est pas de découvrir le meurtrier ou le mobile, mais de comprendre comment le crime a été rendu possible.
Des milliers de places vides est un texte qui mérite largement sa place dans la production littéraire sur la Shoah. Et parce que l’École, en dépit de ses faiblesses et de ses erreurs, ne sera jamais une institution inutile, il est bon de rappeler la devise républicaine qui orne les frontons de ses bâtiments : Liberté – Égalité – Fraternité.