Katri Kling ne vit que pour son frère Mats, de dix ans son cadet. Elle a de grands projets pour lui et, grâce à sa grande intelligence et sa parfaite maîtrise des chiffres, elle est convaincue de pouvoir tout obtenir. « On disait de Katri Kling qu’elle ne se préoccupait de rien d’autre que des chiffres et de son frère. » (p. 10) Si tout le village vient prendre conseil auprès d’elle, tout le monde se méfie d’elle. On la dit un peu sorcière, vraiment étrange, totalement différente. « En tout cas, Katri Kling était honnête, il fallait le reconnaître. » (p. 22) Quand Katri commence à fréquenter Anna Aemelin, la vieille dessinatrice recluse dans sa grande maison, personne ne comprend vraiment son objectif. Mais Katri, elle, sait ce qu’elle veut – offrir un bateau à son frère – et c’est en remettant de l’ordre dans les comptes et les affaires d’Anna qu’elle arrivera à ses fins. « Prendre l’argent d’un autre n’est excusable que quand on peut le faire fructifier et le rendre en un partage équitable. » (p. 64)
Que voilà un étrange et fascinant récit, fait de personnages qui ne se comprennent pas dans un univers pris dans le froid et la neige. Quel monde entre Anna qui dessine les sous-bois et des lapins fleuris et Katri qui voit toutes les mesquineries et toutes les tromperies ! Et pourtant, en un sens, ces deux femmes se trouvent et se rejoignent, chacune insufflant à l’autre ce qui lui manque, un peu de méfiance pour l’une et un peu de mansuétude pour l’autre. Katri est de loin le personnage le plus fascinant : ne manifestant aucune émotion, n’étant attachée qu’à son frère, elle est peu accessible, retranchée derrière une muraille de chiffres et de calculs. Son inaltérable honnêteté et sa capacité à révéler les travers de chacun rendent ceux qui la côtoient profondément méfiants et finalement cruellement malheureux. Katri a la capacité d’ôter les illusions en arrachant sans vergogne les voiles et les masques. Quand vient le moment où, à son tour, elle doit montrer son vrai visage, on s’attendrait presque à entendre résonner un rire antique, celui de l’ironie dramatique.
Premier texte que je découvre de Tove Jansson, certainement pas le dernier ! Et c’est avec un certain plaisir que je vais rouvrir mon édition du Hobbit de J. R. R. Tolkien, ouvrage qu’elle a illustré !