Le récit s’ouvre un vieil homme dans une pièce close à la fenêtre condamnée. M. Blank, ainsi que le nomme le narrateur, n’a plus de souvenirs. Il ne sait pas pourquoi il est dans cette chambre, qui il est, qui sont les personnes sur les photographies empilées sur le bureau. « Ce qu’il sait, c’est que son cœur est empli d’un implacable sentiment de culpabilité. En même temps, il ne peut se défendre de l’impression qu’il est victime d’une injustice terrible. » (p. 12) À mesure que la journée se déroule, Mr. Blank rencontre différentes personnes et apprend ou réapprend l’existence d’individus qu’il aurait envoyés en mission. Pour faire quoi ? Il ne s’en souvient pas, mais ces personnes nourrissent à son égard un profond ressentiment. Sur le bureau, il y a le manuscrit d’un certain Sigmund Graf : ce narrateur raconte une histoire dans un univers fantasy et inconnu. Mais l’histoire n’est qu’une ébauche et c’est à M. Blank de combler les blancs.
Scriptorium, quel beau mot, riche et plein d’une tradition perdue, celle des moines copistes. Et comme les lettrines des manuscrits qui offraient de petites histoires illustrées au sein du récit, Paul Auster ne déroge pas à son amour de la mise en abîme en proposant des histoires imbriquées qui finissent toujours par se recouper. « Nous sommes embarqués dans une histoire compliquée, et tout n’est pas nécessairement ce qu’on pourrait croire. » (p. 101) La narration extérieure nous décrit tout comme une expérience, comme si M. Blank était un rat de laboratoire soumis à une expérience sadique sans cesse renouvelée. Nous ne sommes pas très loin de Kafka tant les situations sont absurdes et les personnages incompréhensibles. À demi-mot, on comprend toutefois que M. Blank est un auteur dont les personnages se vengent en l’enfermant lui-même dans un récit.
Pour saisir toute la valeur et la profondeur de cette histoire, il me semble indispensable d’avoir lu d’autres textes de Paul Auster. Commencer par Dans le scriptorium serait comme partir à l’aventure sans boussole. Ce texte répond à d’autres romans de l’auteur. Lisez donc La nuit de l’oracle, Le livre des illusions ou La trilogie new-yorkaise. Et surtout, lisez Pourquoi écrire ?, réflexion courte mais passionnante sur le métier d’écrivain.