Victor Hugo se meurt et Paris s’émeut. Comment ? Le poète n’était pas immortel ? Le 22 mai 1885, Victor Hugo n’est plus et Paris pleure. Les autorités craignent un soulèvement du peuple qui a pris le deuil de son héros. La Commune n’est pas si loin et les esprits sont prompts à s’échauffer. « Tout signe de tristesse est normal et suspect. La peine peut tourner à l’émeute. Surveiller la couleur du drapeau, qu’il ne vire pas au rouge. » (p. 38) En haut lieu, on ne met pas longtemps à décider que le poète mérite de grandes funérailles, mais là aussi, on s’écharpe : Sainte-Geneviève ou Panthéon ? Une loi est votée à la hâte pour imposer des funérailles nationales. « Les républicains, les socialistes, les catholiques, les anarchistes, ils noircissent du papier, clament des vérités comme on tire des coups de feu, ils veulent prendre ce ventre, tirer le cadavre de leur côté. Mort cet homme parlera encore. »(p. 31) Pendant quelques jours, la France et Paris ne respirent plus : il faut agir vite, honorer le grand homme tout en évitant les émeutes. Une fois encore, le poète concentre l’attention : on ne pense qu’à lui, on ne parle que de lui. Lui qui aimait tant les honneurs, celui qui lui est rendu post-mortem n’est pas le moins grandiose. « On dirait qu’en mourant, qu’en glissant vers l’abîme, il creuse un grand trou et y aspire son temps et sa ville. » (p. 26)
Et la famille alors ? La seule enfant vivante, Adèle, est folle et loin de Paris depuis des années. Georges et Jeanne, les petits-enfants, comprennent vaguement qu’ils doivent partager leur cher Papapa dans la mort comme ils l’ont partagé dans la vie. Leur peine même n’est pas vraiment à eux. Édouard Lockroy, le mari de la belle-fille de Victor Hugo, défend l’homme derrière le poète et tente de faire respecter ses volontés. Non, pas de prêtre. Non, pas de messe. Hugo appartient à la République, pas à l’Église, et celle-ci s’étrangle de fureur qu’on lui refuse la dépouille du grand homme. « Député, sénateur orateur, il n’appartient qu’à un seul parti. Le poète appartient à la France inclinée devant son lit de mort. » (p. 245) Voilà ce qu’écrit Le Figaro, lucide. Et les journaux, d’ailleurs, ont tous des éditions spéciales à faire paraître.
De partout des lettres affluent. Les ouvriers demandent que les funérailles aient lieu le dimanche ou que le lundi soit férié pour qu’ils puissent y assister. On souhaite modifier l’itinéraire du cortège, être autorisé à marcher derrière la famille, les artistes, les officiels. Le peuple aussi veut rendre hommage au poète. Des couronnes sont offertes par des délégations étrangères. Voilà le jour des obsèques. Paris est bondée noyée sous la foule émue et recueillie. Mais la police a l’œil ouvert : ses mouchards lui ont rapporté que d’anciens communards voudraient faire du grabuge. Gare à celui qui brandira un drapeau rouge ! Quel pouvoir il avait, cet écrivain, pour galvaniser les petites gens et leur donner le goût de la révolte ! « Ce n’est pas avec des rimes, disiez-vous qu’on détruit le vieil ordre existant, mais sans la poésie, en aurait-on l’idée ? » (p. 114)
Judith Perrignon rend un magnifique hommage à un grand auteur. Son style est riche, ample et fluide. Avec elle, on retient son souffle pendant les quelques jours suspendus qui séparent la mort et les funérailles. Mais l’histoire de Victor Hugo ne s’arrête pas à la fin du cortège funèbre ou entre les murs du Panthéon. Un siècle plus tard, il résonne encore quelque chose de la voix puissante de l’auteur de Notre Dame de Paris.
De Judith Perrignon, je vous recommande chaudement L’intranquille, autoportrait d’un fils,d’un peintre, d’un fou. Et je vous conseille Tolstoï est mort de Vladimir Pozner, un autre excellent roman qui retrace les dernières heures et la mort d’un grand auteur.