Deux jours avant Noël 1999, un chien meurt et, conséquence complexe, un petit garçon disparaît. Cela suffit à mettre la petite ville de Beauval sens dessus dessous pour longtemps, et les ravages de la terrible tempête hivernale ne sont presque rien au regard des dégâts causés dans les cœurs et dans les relations de bon voisinage. « On ne pouvait pas continuer de chercher cet enfant, on acceptait sa disparition. S’il s’était perdu et avait été vivant au cours des dernières heures, il ne l’était plus. On en était réduit à espérer qu’il avait été enlevé. » (p. 106) Il y a des rumeurs terribles, des accusations infâmes et des amours de jeunesse qui pourrissent pour longtemps, voire pour toujours, l’existence plate de provinciaux que rien ne destinait à de tels remous. « La ville entière était prise d’un mouvement continu qui la faisait ployer, fléchir, elle menaçait d’être arrachée à elle-même. » (p. 92) Douze ans plus tard, le coupable dont on connaît l’identité dès les premières pages est toujours tourmenté par son crime et le silence qu’il garde depuis si longtemps. « Ce qui épuisait […], ce n’était plus culpabilité, ni la peur d’être confondu, c’était l’attente, l’incertitude. » (p. 139) Pour ceux qui se posent la question, mes […] masquent le nom du coupable : même si l’intrigue ne laisse aucun doute sur son identité, il ne m’appartient pas de vous la donner.
Après Au revoir là-haut et Couleurs de l’incendie, j’ai retrouvé l’extraordinaire talent de Pierre Lemaitre pour les portraits : avec des détails de rien du tout, il donne une profondeur remarquable à des personnages anodins et crée ainsi un microcosme complet et complexe. « Beauval, c’était un peu ça, une ville où les enfants ressemblaient à leurs parents et attendaient de prendre leur place. » (p. 119) La fin du roman est magistrale : en quelque sorte, elle est tonitruante dans un silence ouaté. C’est une montagne qui s’écroule sans que personne ne l’entende. Bref, c’est un sacré bon bouquin et je suis ravie d’avoir surmonté ma réticence face à Pierre Lemaitre l’auteur de polar pour découvrir son œuvre moins genrée. Mais dans un sens, Trois jours et une vie est un thriller où tout se joue dans l’âme agitée du criminel : le cœur du lecteur manque autant de battements que celui du coupable quand les gendarmes frappent à la porte, tant il est facile de s’attacher à ce personnage.