Dans la famille Blanc, Paulot est le point de mire de tous les regards. Celui de sa femme, Odile, qui partage son homme avec tout le village. Celui de sa fille, Mathilde, qui voudrait que son père l’aime aussi fort qu’il aime Anne, son aînée. Celui de Jacques, le fils tant attendu. Dans son bar à La Roche-Guyon, Le Balto, Paulot est le roi. Il fait bon vivre chez les Blanc et on n’économise pas. La vie est belle et généreuse, sans pingrerie. Quand la tuberculose frappe Paulot, puis Odile, tout ce bonheur s’effondre. Finie la belle amitié dans le village : la tuberculose, c’est la peur, le rejet, la honte. Les parents sont admis au sanatorium d’Aincourt et Mathilde et Jacques envoyés dans des familles d’accueil. « Depuis 1952, la chute est lente et continue, toute joie infectée de mélancolie. Mathilde a beau lutter contre l’image récurrente, tenter d’y substituer des visions de secours, une danse avec jacques, un sourire de Paulot, l’existence lui semble une pièce aux fenêtres murées. » (p. 80) Si Paulot et Odile sont à peu près pris en charge par l’institution, Mathilde refuse la tyrannie des assistantes sociales et se fait émanciper. Cette gamine veut à tout prix préserver la famille. Tous les dimanches, elle va au sanatorium et fait le lien entre ses parents et son petit frère. Étrangement, c’est éclatée que la famille semble la plus soudée et que chaque membre semble enfin se préoccuper des autres, même si Odile fait toujours passer Paulot avant tout le reste. « Ils font l’amour en cachette. Et ils ne mangent que si Mathilde est là. Odile et Paulot sont des enfants. Ça l’attendrit. Ça l’horrifie. » (p. 174) Seule dans la grande maison familiale mise sous scellés, Mathilde a faim et froid, mais elle ne mendie pas. Les regards des voisins se détournent, mais elle reste fière : elle est indépendante et elle est l’âme de cette famille, quitte à s’épuiser dans cette mission qu’elle s’est donnée. « À ceux qui lui diront, plus tard, quand tout sera fini, tu aurais dû demander, petite, elle rétorquera : vous auriez dû voir. » (p. 152) En France, dans les années 1960, on mourrait encore de la tuberculose parce qu’on ne faisait pas confiance aux antibiotiques ou qu’on n’avait pas les moyens de se soigner. « C’est gratuit de savoir que tu es malade, mais pas gratuit de se soigner. » (p. 97) La Sécurité sociale, grande promesse du Conseil de la résistance, ce n’est pas pour les indépendants, les petits commerçants.
Il faut l’avouer, je n’avais aucune envie de lire ce roman. Les avis dithyrambiques sur les blogs et ailleurs n’aidaient pas. Je me méfie toujours quand on crie au génie et qu’on affiche partout que tel livre est un succès de librairie. Snob, moi ? Prudente, plutôt. Mais il serait trop bête que je ne me fasse pas mon propre avis. Et Actes Sud est un éditeur de qualité qui m’a rarement déçue. À la fin de ma lecture, je ne crie pas au chef-d’œuvre, mais je reconnais que c’est un beau roman, avec des passages qui fendent le cœur et quelques très belles phrases.