Ultime roman d’Edgar Hilsenrath.
Joseph Leschinsky, dit Lesche, vit en Amérique depuis son enfance, après que ses parents et lui ont fui l’Allemagne nazie. L’écrivain juif n’a aucun succès au pays des self-made-men et il a pleinement conscience de sa condition d’émigrant mal assimilé. À presque soixante ans, il décide de retourner en Allemagne, pas pour retrouver ses racines, mais pour vivre enfin dans la langue qu’il a faite sienne. « Pour moi, il ne s’agit que d’aimer la langue. On peut aimer l’allemand sans aimer les Allemands. » (p. 27) À Berlin-Ouest, Lesche reprend pied et son nouveau roman est accueilli avec enthousiasme. Enfin reconnu comme un grand auteur, il est très sollicité et envisage un grand projet autour d’un autre génocide européen, celui qui frappât les Arménien·nes. Hélas, dans cette Europe qui se veut progressiste et nouvelle, Lesche est encore et toujours ramené à sa condition de Juif, notamment par des néonazis qui le harcèlent jusqu’à sa porte. « L’holocauste vous poursuivra partout en Allemagne. Chaque maison, chaque rue nous le rappellera. Les vieux aussi. Il n’y a pas moyen d’y échapper. » (p. 7) C’est à croire que l’Histoire n’en finit jamais de se répéter.
Ce Lesche, c’est évidemment un avatar de l’auteur lui-même : son parcours est le même, du ghetto à l’Amérique de la galère. Les titres des romans écrits par le personnage sont des variations des propres titres d’Hilsenrath. Avec ce dernier roman, l’auteur boucle son histoire, en quelque sorte, en imaginant sa mort. Comme dans ses autres romans, le ton est résolument féroce et grinçant : l’humour n’est pas délicat ou politiquement correct. Il est question de sexe sans fard et de fantasmes débridés de vengeance. Avec Terminus Berlin, Edgar Hilsenrath essaie de secouer de ses épaules, une dernière fois, le lourd fardeau de la judéité. « En Allemagne, on te rappelle à chaque instant que tu es juif. Ce n’est pas qu’on ressente de l’antisémitisme, mais les gens ont mauvaise conscience quand ils rencontrent un Juif. Ils te traitent avec un excès de précautions, c’est très désagréable. » (p. 94)
Il me reste quelques textes à lire de cet auteur, je les fais durer. Je vous conseille sans réserve Fuck America, Nuit et Orgasme à Moscou.