Trilogie de Patrick Ness.
Attention, je présente les trois tomes à la suite, spoilers possibles !
Tome 1 : La voix du couteau – Todd est le dernier garçon du Nouveau Monde. Tous les autres sont devenus des hommes et dans un mois, le jour de son treizième anniversaire, il deviendra un homme à son tour. Il a toujours vécu avec le Bruit, cette manifestation incessante des pensées de chacun. « Le Bruit n’est pas la vérité : le Bruit, c’est ce que les hommes veulent être vrai. » (p. 37) Le Bruit est la faute des Spackles, les ennemis qui ont répandu le virus du parler, donnant la parole à tous les animaux et tuant toutes les femmes de la planète. Todd n’a toujours connu que cela et il n’a aucune raison de remettre en question l’univers dans lequel il vit. Jusqu’au jour où il trouve un endroit où le Bruit se tait et où il rencontre Viola. Une petite fille. Il apprend alors qu’il y a des cités et des humains au-delà de Prentissville, que de nouveaux colons sont en route vers le Nouveau Monde à bord de vaisseaux spatiaux et que les Spackles ne sont pas ce qu’il croit être. Il comprend surtout qu’il se trame quelque chose de louche à Prentissville. N’emportant qu’un sac contenant le journal de sa mère, son couteau et quelques vivres, suivi de son chien Manchee et accompagné de Viola, Todd veut rejoindre Haven, une colonie qui a peut-être un remède contre le Bruit. « J’ai des ampoules et des courbatures et mon cœur me fait mal de tout ce qui me manque et de tout ce qui ne reviendra plus. » (p. 473) Alors qu’une armée d’hommes furieux se lance à ses trousses et est déterminée à prendre le contrôle du Nouveau Monde, Todd doit accepter une nouvelle vérité et une nouvelle Histoire.
Dystopie postapocalyptique, le premier tome de ce roman raconté du point de vue de Todd est une réussite narrative : les évènements et les révélations s’enchaînent sans temps mort. Todd, petit garçon au début de l’histoire, devient un homme dans la nécessité, armé de la volonté de survivre et de son couteau. « Une chose de puissance, tellement que je dois accepter d’en faire partie, plutôt qu’elle faire partie de moi. » (p. 105) Grandir n’est pas une chose facile et Todd en fait l’apprentissage douloureux.
Tome 2 : Le cercle et la flèche – À Haven, Todd et Viola sont tombés dans le piège tendu par le Maire Prentiss, qui se fait désormais appeler Président Prentiss et qui a de grands projets pour Nouveau Monde. Projets dans lesquels il compte bien impliquer Todd, de son plein gré ou non, le garçon revêtant de plus en plus une importance qu’il a bien du mal à concevoir. « Il ne peut pas tuer. Même pour se sauver lui-même. C’est ce qui le rend si spécial. Voilà pourquoi il le voulait tellement. Il n’est pas comme eux. » (p. 108) Alors que Viola est soignée par les guérisseuses de Haven, elle découvre que la résistance est en marche. Un groupe nommé La Flèche, mené par Maîtresse Coyle, s’oppose au Cercle représenté par le Maire. Rapidement, les choses tournent mal et des bombes explosent un peu partout. Todd et Viola sont séparés, chacun dans un camp différent, mais ne renonçant jamais à se retrouver. « On arrête pas de se sauver l’un et l’autre […]. Est-ce qu’on sera un jour à égalité ? / J’espère pas. » (p. 461) Désormais, les femmes se battent contre les hommes et les hommes se battent aussi contre les hommes.
Dans ce tome, La narration est portée alternativement par Todd et Viola, ce qui donne un dernier chapitre d’une très grande intensité, les voix croisées se répondant, voire se devançant. L’opposition entre homme et femme n’est pas seulement une question de genre ou de force physique, mais également de rapport à l’information et à la communication, les hommes étant seuls atteints par le Bruit. « Le silence d’une fille reste actif, ça reste une chose vivante qui dessine une forme dans tout le Bruit et son boucan autour. » (p. 20) L’évolution des personnages et de leurs sentiments est subtile et cohérente avec la progression de l’intrigue. Loin des clichés de la littérature dite « young adult », la romance entre Todd et Viola n’est pas le centre de l’histoire : elle est menée avec délicatesse, presque en marge du reste du récit. L’attirance réciproque des deux jeunes héros répond certes à des codes et semble inévitable, mais elle n’est pas le moteur de l’action. Il est davantage question d’acceptation de la différence que d’amourette et c’est un bon point supplémentaire dans cette histoire de qualité.
Tome 3 : La guerre du Bruit – Le rebondissement final du tome précédent marque l’ouverture du dernier acte de cette histoire : les Spackles sont bien décidés à attaquer et exterminer les humains, hommes et femmes, en représailles de ce qui a été fait aux esclaves spackles de New Prentissville. Le Maire Prentiss et Maîtresse Coyle vont devoir collaborer contre cet ennemi commun, mais leurs différends sont si grands que toute trêve semble impossible. Un autre vaisseau éclaireur est arrivé à Nouveau Monde et les colons sont déterminés à s’établir en paix. Mais c’est compter sans la farouche détermination de Viola de sauver Todd de la mauvaise influence du Maire. « Si c’est ce que Todd et moi ferions l’un pour l’autre, est-ce juste pour autant ? Ou bien cela nous rend-il dangereux ? » (p. 182) Avant d’arriver à la paix, il semble qu’il y a bien des obstacles à franchir, comme la haine du Spackle 1017 envers Todd. « La logique de la guerre est manifestement absurde. Vous tuez des gens pour leur dire que vous voulez arrêter de les tuer. » (p. 307)
Grand final réussi pour le dernier tome du Chaos en marche. On apprend finalement que le Bruit peut se contrôler et qu’il peut être une arme redoutable qui, comme toutes les armes, a un double tranchant. En partageant la narration avec une troisième voix, celle d’un Spackle, l’auteur a donné au texte une portée universelle : Todd, Viola et le Spackle représentent trois mondes différents qui aspirent à la paix, mais sont hélas prêts à la guerre. Par ailleurs, en faisant revenir des personnages que l’on croyait perdus, le récit retrouve une dimension d’espoir qui semblait disparue depuis la fin du premier tome. Amitié, pouvoir, différence, partage et amour sont autant de sujets traités avec subtilité en tentant de répondre à une question unique, celle de la possibilité de concilier l’individu et la communauté. La trilogie de Patrick Ness se referme sur une belle note d’espérance, au terme d’un grand travail sur l’écriture et l’occupation du texte sur la page. Le chaos en marche est un texte qui se lit et qui se regarde.
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Et hop, mine de rien, une nouvelle participation au Défi des 1000 de Fattorius : 531 + 563 + 631 = 1725 pages !
De Patric Ness, j’ai également lu Quelques minutes après minuit.