Billevesée #200

Pour cette deux-centième billevesée (tralalatsointsoin), je vous propose un morceau de musique.

Il s’agit de Ô solitude d’Henry Purcell interprêté par la chanteuse Rosemary Standley et la violoncelliste Dom La Nena.

J’aime le texte original, son désir de contemplation et de retrait du monde, la célébration qu’il fait du « moi » en tant qu’égoïste heureux. (Une fois de temps en temps, hein…)

Et j’aime l’interprétation de Rosemary Standley et de Dom La Nena ! Je vous recommande d’ailleurs leur magnifique album Birds on a Wire qui rassemble des reprises d’oeuvres notoires du répertoire musical mondial.

Et maintenant, à vos oreilles !

Alors, billevesée ?

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Mille femmes blanches – Les carnets de May Dodd

Roman de Jim Fergus.

En 1875, Little Wolf, chef des Cheyennes, se rend à Washington pour discuter de l’avenir de son peuple. Il demande au gouvernement américain d’envoyer mille femmes blanches dans sa tribu contre mille chevaux. Il s’agit de faire la paix avec les Blancs et de permettre aux descendants des Cheyennes de s’intégrer dans la société américaine. « Les clauses de notre contrat ne nous obligent à donner naissance qu’à un enfant seulement, après quoi nous sommes libres de partir ou de rester. En cas d’impossibilité de concevoir, nous sommes tenues de demeurer auprès de nos conjoints deux années entières, au terme desquelles nous ferons ce que nous voudrons… C’est du moins la version des autorités. Il n’a pas manqué de me venir à l’esprit que nos futurs maris n’entendront peut-être pas les choses de cette oreille. » (p. 44) En dépit du scandale que soulève cette demande, une centaine de femmes intègrent le programme. Il y a des femmes tirées de prisons ou d’asiles, des endettées, des femmes à la réputation perdue et quelques volontaires. On suit cette histoire grâce à May Dodd qui a fui l’asile dans lequel sa famille l’avait fait interner.

Que je me suis ennuyée !!! Pourtant, j’aime les histoires du grand Ouest américain et je suis sensible aux drames qui ont fait disparaître la culture et la population amérindienne. Mais ici, le procédé narratif n’a pas pris. Le voyage, l’intégration des femmes et le quotidien nomade auprès des Cheyennes sont racontés par May Dodd qui tient des carnets, à la fois journaux intimes, chroniques et lettres hypothétiquement adressées à plusieurs interlocuteurs. May Dodd a réellement existé et ses carnets ont effectivement été retrouvés par un de ses descendants. Hélas, le portrait qu’en fait Jim Fergus est insupportable et May Dodd est un agrégat de clichés romanesques. Elle se révolte contre l’injustice, se montre pleine de courage et de sagesse, elle a toujours de la chance et elle se pose en exemple à suivre. Bref, cette héroïne aux traits forcés n’a pas attiré ma sympathie, d’autant plus qu’elle ne cesse de se présenter en victime innocente de ses désirs. Screugneugneu, soit elle les assume et elle les vit pleinement, soit elle les réfrène et elle nous fiche la paix !

Il me reste de cette lecture une réflexion sur la valeur des femmes, ici échangées comme des marchandises sous le couvert d’un contrat faustien. L’expérience sociale et humaine est intéressante, même si l’on sait déjà qu’elle tournera court puisque le peuple indien va disparaître des grandes plaines déjà vidées des bisons. « Si on leur avait fichu la paix, tout irait bien. Si les Blancs les laissaient tranquilles, arrêtaient de leur mentir, de leur donner du whiskey, tout se passerait comme il faut. » (p. 276) Il faut prendre l’histoire de May Dodd comme une légende, une allégorie.

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Il

Roman de Derek Van Arman.

« La plupart des tueurs en série n’ont rien à voir avec les mythes qu’ils ont engendrés. Ils ne vivent pas isolés, au milieu des bois ou au fin fond d’un asile. Ce sont vos propres voisins. » (p. 40)

John Scott est un policier psychologue spécialiste des tueurs dits récréatifs ou désaffectés. À la tête du VICAT, une unité spéciale qui étudie et poursuit ces criminels, il traque l’assassin de Diana Clayton et de ses filles. « Pendant plus de trente ans, des mères sans défense et leurs enfants avaient été piégés par le même prédateur humain, un animal sans âme. » (p. 301) Pendant ce temps, l’inspecteur Frank Rivers, un policier aux méthodes contestables, enquête sur le cadavre découvert sous un bowling par le jeune Elmer. Sur les routes, dans les environs, Gregory Corless et Seymor Blatt se livrent aux pires sévices sur des jeunes filles. « Vous êtes en train de m’expliquer que tuer leur permet de ressentir. » (p. 440) Quant à Jeffery Dorn et Irma Kiernan, ils forment un couple étrange, fondé sur l’aveuglement, le crime et le mensonge. « L’humanité, ça craint ; j’en ai toujours été convaincu. » (p. 257) John Scott et Frank Rivers vont associer leurs talents pour attraper les criminels, leurs affaires se rejoignant et se confondant, révélant des connexions qui remontent loin, jusqu’à la guerre de Sécession, et explorant une Amérique où des villes peuvent disparaître, recouvertes par d’autres et oubliées par l’histoire.

La traque est au cœur de roman : celle de la police qui poursuit les criminels et celle des tueurs qui chassent leurs prochaines victimes avec méthode et froideur. « Quand vous dépouillez un être humain de toute émotion, tout ce qui vous reste, c’est l’intellect, la faculté de raisonner,  sans le contrôle de la conscience. » (p. 444) Entre les explications et les raisonnements, le texte progresse lentement, mais cette lenteur est calculée, savamment dosée afin d’accroître la tension. L’intrigue, bien que remontant sur des décennies, se déroule sur quelques jours où tout se joue en heures.

Le texte est très bien documenté sur les techniques de la police et la nature si particulière des tueurs en série. « Le simple geste de tuer leur faisait plus de bien que le rêve le plus délicieux, plus de bien que des tombereaux d’argent, plus de bien que de posséder la planète entière. Tuer leur donnait la sensation d’être en vie et celle de ne connaître aucune limite, comme s’ils voyageaient dans le temps. » (p. 716) Les analyses psychologiques sont finement distillées dans le roman et renforcent la peur suscitée par les différents criminels.

Près de 1000 pages d’enquête et de peur : moi qui suis si réfractaire aux thrillers, je me suis laissée embarquée par celui-ci sans demander mon reste. Ça demande un estomac assez bien accroché, car certaines scènes sont d’un sordide à la limite du supportable. Ce roman (dont le titre original est bien mal traduit) fait plonger dans un monde où le mal se développe de façon exponentielle. Lisez et vous comprendrez !

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Le livre de Dina – Trilogie

Romans d’Herbjorg Wassmo.

Tome 1 : Les limons vides

Dina est-elle responsable de la mort de sa mère, ébouillantée par l’eau d’une lessiveuse ? L’est-elle aussi de celle de son époux Jacob, retrouvé gonflé d’eau dans une rivière après un accident de traîneau ? Enfant, après le décès de sa mère, puis veuve, sa seule réaction à ces drames est un silence pesant et durable. À chaque fois, on se dit que Dina est folle, qu’elle a perdu la parole pour de bon. Elle a grandi comme un animal sauvage sous le regard inconsciemment accusateur de son père. Farouche et têtue, la jeune Dina ne fait que ce qu’elle veut. « Elle avait en elle une sauvagerie qui n’était pas faite pour attirer les hommes en quête d’une épouse. » (p. 66) Ce n’est qu’auprès de M. Lorch, précepteur et professeur de musique, qu’elle gagne en sérénité. Rapidement virtuose du violoncelle et du piano, Dina n’en devient pas pour autant une jeune fille posée et délicate. Elle n’aime rien tant que chevaucher sans selle et en pantalon à travers les forêts du cercle polaire. Et si elle fait ce qu’on lui demande, ce n’est pas qu’elle se soumet, c’est qu’elle y consent. En la mariant à son ami Jacob, son père pense qu’elle va enfin s’assagir. « C’était la première fois qu’il se rendait compte qu’aucune limite n’existait pour Dina. Qu’elle ne craignait le jugement de personne. » (p. 93) Mais dans le mariage comme dans l’adolescence, Dina reste un animal gourmand, exigeant, indomptable. Dans son nouveau domaine, à Reinsnes, Dina ne fera toujours que ce qu’elle veut. « Dina de Reinsnes n’avait pas de chien, ni de confident. Mais elle possédait un cheval noir – et un garçon d’écurie roux. »  (p. 152) Ce garçon, c’est Tomas et il est envoûté par sa maîtresse.

Quel souffle ! Dina est un ouragan, un cataclysme. Elle incarne les deux saisons en vigueur en Norvège, près du cercle polaire. Elle est l’hiver, sombre et interminable quand elle se tait et s’enferme en elle-même, négligeant ses devoirs et les autres. Elle est l’été, éblouissant et prolifique, quand elle saisit les rênes de son existence et devient une véritable maîtresse de domaine.

Tome 2 : Les vivants aussi

Alors que le premier tome posait la mort de Jacob Gronelv en élément liminaire pour reprendre ensuite toute l’existence de Dina jusqu’à ce drame, le deuxième volume s’ouvre immédiatement après le soudain veuvage de l’héroïne. Dina est toujours silencieuse, enfermée dans la chambre conjugale. Elle marche toute la nuit et elle boit plus que de raison. « Chaque maître avait ses lois. Les lois de Dina ne ressemblaient à aucune autre. » (p. 47) Et voilà qu’elle est enceinte ! « On racontait ouvertement que Madame Dina était à la fois enceinte, muette et peu sociable. » (p. 23) Jacob ne disparaîtra donc pas de Reinsnes. Benjamin, le nouvel héritier s’ajoute donc à Johan, le fils du premier mariage de l’armateur et aubergiste, et à Niels et Anders, ses fils adoptifs. Arrive Stine, une nourrice Lapone, qui prend soin de Benjamin et finit par s’installer définitivement à Reinsnes avec l’approbation de Dina. Il y aura finalement une maîtresse pour l’intérieur de la maison, tandis que Dina veut gérer les affaires de son défunt époux, comprendre les chiffres, pourquoi ils ne sont pas justes, suivre les caboteurs et les récoltes. « Finalement, les histoires moins flatteuses sur Dina perdirent de leur impact. On les considéra plutôt comme des traits d’originalité qui distinguaient Dina des maîtresses de maison et autres bourgeoises. Et qui faisaient d’elle quelqu’un de spécial et de fort. » (p. 133) Se remariera-t-elle, la grande et belle veuve de l’armateur ? Pour cela, il faudrait qu’elle trouve un homme digne d’elle, selon ses critères. Ce ne peut pas être Tomas, ni Johan. Peut-être Léo Zjukovkij, ce Russe qui va et vient en laissant des sillons dans le cœur de Dina.

Ici, Dina prend peu à peu sa place dans le domaine laissé par son époux. Elle rend les armes sur certains sujets, s’adoucit, mais brandit toujours son indépendance et sa volonté comme des drapeaux de guerre.

Tome 3 : Mon bien-aimé est à moi

Dina a mis à jour les comptes trafiqués : elle n’entend pas être trompée et laisse peu d’options au coupable. Qu’on se le dise, Dina est juge et maître chez elle. « C’était justement une des choses extraordinaires qu’on pouvait raconter quand on rencontrait des gens d’autres régions. Que cette grande femme, les poings sur les hanches, participait à tout. C’était ce qui faisait la différence entre cette femme et toutes les autres. » (p. 138) Mais son cœur, finalement, n’est plus à elle. Il est à Léo qui jamais ne reste. Dina l’attend et enrage de ses absences. Elle part en voyage, à sa recherche. Arrive la guerre de Crimée : Léo est russe, faut-il craindre pour lui ? Quand elle le retrouve, elle lui demande de rester. Mais voici un homme qui ne se soumet pas Dina Grolnev. « Je suis toujours là. Ne comprends-tu pas ? Je suis avec toi. Mais on ne peut pas barrer mes chemins. Tu ne peux pas être cette barrière. Il n’en sortirait que de la haine. » (p. 193) Ce que Léo n’a pas compris, lui, c’est qu’on ne résiste pas à Dina. On ne lui échappe pas, on ne la quitte pas, on ne l’abandonne pas.

Dans le dernier volume de cette trilogie, le lecteur comprend enfin l’étendue de la violence de Dina : sa force est une folie. Quand elle chevauchait son étalon noir, sans selle et les cheveux dénoués, on pouvait encore la croire seulement rebelle. Mais Dina est une lame de fond qui ravage : démiurge folle et walkyrie sans pitié, Dina traverse la littérature norvégienne moderne comme une comète.

*****

Quelques mots sur des éléments récurrents des trois tomes. Chaque chapitre s’ouvre sur un extrait de la Bible et illustre ensuite ce passage saint. Pour Dina, la Bible est le livre de Hjertrud, le grand livre noir de sa mère. Elle le lit avec ferveur, y cherchant les réponses du monde, traquant les injustes et les coupables avec la même fureur que le Dieu d’Abraham. Et quand la voix intérieure de Dina s’inscrit en italique, comme un cri ou un murmure selon son humeur, on lirait presque un nouvel évangile, fait d’intransigeance et dureté. Entourée des fantômes qu’elle porte en elle, Dina ne ploie pas sous le poids des défunts : ils sont ses conseillers et ses guides. Dina ne craint pas la mort, elle la défie crânement.

Si Dina a eu tendance à m’agacer dans les premiers temps, j’ai révisé mon jugement au fil des pages. Elle est une femme forte, blessée à jamais dans son enfance par un crime qu’elle n’a pas voulu et par le rejet de son père. Puisque personne ne voulait d’elle, elle a décidé de n’avoir besoin de personne. Dure et cinglante, Dina place ses désirs en premier et trace son chemin dans un monde encore peu ouvert aux femmes.

Que j’ai hâte maintenant de lire Fils de la Providence et L’héritage de Karna, quatre textes qui font suite au Livre de Dina !

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Billevesée #199

Un cousin germain est le fils d’une tante ou d’un oncle.

L’adjectif germain vient du latin « germanus » qui signifie « du même germe ». En effet, votre oncle ou votre tante (on ne parlepas des conjoints de ceux-ci) sont issus du même germe (= des mêmes parents) que votre mère ou votre père.

En évoluant, le terme « germanus » a donné « hermano » en espagnol, à savoir « frère ». Donc, dans le sens courant, le cousin germain, c’est le fils du frère/sœur de votre mère/père.

Alors, billevesée ?

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Hiver

Roman de Christopher Nicholson.

Thomas Hardy a 84 ans. Il mène des journées sans surprise auprès de sa seconde épouse, Florence, suivant une routine salutaire. « Lorsqu’il était assis à son bureau, la plume à la main, il ne se sentait pas vieux. » (p. 15) Ses chefs-d’œuvre sont derrière lui et sa renommée n’est plus à faire. Pour autant, le vieil écrivain ne conçoit pas de passer une journée sans écrire, même quelques mots, quelques idées volées à l’inspiration. « Quand il prenait en considération les manières possibles de conclure son séjour terrestre, l’idée d’être à son bureau, alors que séchait l’encre des derniers pots d’un ultime poème, lui paraissait somme toute agréable. » (p. 16) La paix de ses journées est ébranlée par Gertrude Bugler, une jeune habitante du village : actrice dans la troupe locale de théâtre amateur, elle reprend le rôle de Tess d’Urberville, l’héroïne dont Thomas Hardy est le plus proche. Et c’est à s’y méprendre que Gertrude ressemble à Tess. Peut-être parce que Thomas s’est inspiré de la mère de Gertrude pour écrire son personnage. Peut-être parce que, comme le poète Shelly, Hardy n’a jamais cessé de chercher son idéal féminin. « Soupirant en lui-même, il se demandait s’il aurait jamais d’occasion de lui montrer à quel point elle était proche de son cœur. Leur différence d’âge semblait rendre cette révélation impossible ; il n’en restait pas moins qu’il y avait entre eux une parfaite réciprocité de pensée et de sentiment. Telle était du moins l’impression du vieil homme. » (p. 39)

Gertrude est pleine de talent et elle incarne une Tess d’Urberville convaincante, à tel point qu’un projet de pièce à Londres voit le jour. Cette agitation et l’admiration non dissimulée que son mari porte à l’actrice sont loin de plaire à Florence. Déjà épuisée de lutter contre le spectre de la première épouse et d’attendre sans cesse des preuves d’affections à son époux, Florence glisse dans une tristesse et une aigreur grandissantes. « Pourquoi ne penses-tu jamais à moi, toi qui est censé si bien connaître la psychologie féminine ? J’existe, moi aussi, tu pourrais avoir quelques égards pour moi ! » (p. 61) Thomas considère qu’elle est toujours malade et fragile alors qu’elle ne voulait qu’écrire, comme lui, et fonder une famille. Persuadée d’avoir sacrifiée sa jeunesse à un homme égoïste, Florence va demander le plus grand sacrifice à Gertrude qui n’a aucunement conscience du brasier qu’elle a allumé.

Thomas Hardy est présenté comme un vieil idéaliste réfractaire au progrès : pas de téléphone ou d’automobile chez lui alors que les années 1920 sont déjà là. On retrouve ici la vision romantique et idyllique que cet auteur avait de la campagne, présentée comme un havre loin de l’agitation des villes. La nature seule semble être en mesure d’être le théâtre des sentiments et des vérités. Mais à l’image des arbres trop épais et trop grands qui entourent la maison et font rempart à la lumière, la nature peut aussi un piège où les esprits fragiles s’étiolent. J’ai souvent pensé à l’œuvre magnifique d’Henri Purcell, Ô solitude, en lisant ce roman. Thomas, pris dans les feux de sa dernière passion, et Florence, étranglée de jalousie et de regrets, sont des personnages très solitaires à qui il manque une chose : la capacité de jouir de cette solitude.

Comme dans les romans de Thomas Hardy, le texte de Christopher Nicholson révèle une violence intérieure, une brutalité intime que les personnages s’infligent : leurs tourments, en n’étant pas exposés, prennent des dimensions dantesques, destructrices. Et les monologues silencieux sont autant de sentences définitives sur soi et les autres. Ces prises de conscience intimes sont des séismes qui renversent les personnages et auxquelles le lecteur assiste, muet et saisi comme devant un drame antique.

Avec des chapitres qui alternent entre les différents narrateurs, ce roman offre un portrait facetté de Thomas Hardy, tel un diamant très travaillé : l’homme n’est beau que parce qu’il est pluriel et complexe. Avec quelle compassion le lecteur accompagne le vieil homme lorsque celui-ci comprend qu’il est trop âgé pour la passion, que la passion même n’a que faire des sycophantes amoureux.

Faut-il que j’en dise beaucoup plus pour que vous compreniez que j’ai été profondément émue par ce roman ? Un dernier mot : lisez les romans de Thomas Hardy, ce seront des moments de grâce.

Mes avis sur Tess d’Urberville, Jude l’obscur, Loin de la foule déchaînée, Le maire de Casterbridge

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En lisant Tourgueniev

Roman de William Trevor.

Marie-Louise Dallon a grandi dans la ferme de ses parents, avec sa sœur Letty et son frère James. Quand elle accepte la demande en mariage d’Elmer Quarry, qui dirige la boutique de draps de la ville, elle s’engage dans une union morne. « Elle s’était mariée moitié par impatience, moitié par ennui et elle avait été payée de retour, avec usure. » (p. 114) Le mariage est un échec et les époux cohabitent sans vraiment se rencontrer, sous l’œil aigre des sœurs d’Elmer, Rose et Mathilde, deux vieilles filles acariâtres qui n’ont jamais accepté l’union de leur frère avec cette fille trop jeune. La déception conjugale est mutuelle, mais les époux ne se haïssent pas. Ils se contentent de vivre côte à côte sans rien attendre. Et voilà que Marie-Louise renoue avec son cousin Robert, un jeune homme à la santé fragile. Une ancienne attirance renaît et devient une véritable affection. « C’est ainsi que son cousin lui a fait la cour, en la faisant accéder à l’univers d’un romancier : c’était la seule chose en leur pouvoir, lui, d’offrir, elle, de recevoir. Et pourtant la passion est née, seule forme de consommation de leur amour. » (p. 235) Hélas, cet éveil à la tendresse est de courte durée et Marie-Louise reste seule avec ses sentiments, prisonnière de son mariage et de l’attention suspicieuse de ses belles-sœurs. C’est dans un grenier qu’elle vit ses meilleures heures, entourée des souvenirs et des livres de son cousin.

Le lecteur découvre Marie-Louise des décennies après le début de son histoire, alors qu’elle vit dans un établissement de soin, traitée pour un mal que l’on suppose moins physique que mental. Solitaire et mutique, elle nourrit en elle le souvenir d’un amour non consommé, plus précieux que la parodie de mariage qu’elle a vécue. « Qu’elle et Robert se soient aimés était une chose, faire part de cet amour en était une autre. » (p. 131) Lourde d’un amour adultère et indicible, Marie-Louise souffre de cette affection secrète. Et, à l’instar des autres personnes, elle ne sait jamais se confier et avouer : dans l’Irlande des années 1960 peinte par William Trevor, dans cette petite ville sans agitation, on ne dit pas les choses tout haut, mais les rumeurs vont bon train et c’est dans le sous-texte qu’on apprend le plus de choses.

Fin et délicat, ce roman offre un émouvant portrait de femme porté par le style puissant de William Trevor. Qu’il me tarde de découvrir les autres textes de cet auteur irlandais !

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Lettice – My Sister’s Birthday

Album de Mandy Stanley.

Pour l’anniversaire de sa petite sœur, Lettice prépare plein de jolies choses. « I draw a special card. » Il y aura des fruits, des carottes, un gâteau et des cadeaux !

Avec sa couverture pailletée et ses jolis lapins, ce petit album cartonné carré est très doux. Les illustrations pastel sont adorables. Je me suis retrouvée dans ce petit personnage : j’adore gâter mes petites sœurs (et mon jumeau ou tout le monde en fait) pour les anniversaires et en dehors des anniversaires. Préparer des surprises, c’est aussi chouette que d’en recevoir !

Alors, les grumelles, elles vous plaisent vos surprises ?

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Mme Double

Album de Roger Hargreaves.

Madame Double et Madame Double sont jumelles, évidemment. Et elles vivent en Doubloslavie, évidemment. Et elles dorment dans des lits jumeaux évidemment. Monsieur Curieux, de son côté, n’a jamais entendu parler de la Doubloslavie. Comme il est curieux, il décide d’aller visiter ce pays. Mais à être trop curieux et à fourrer son nez partout, le pauvre Monsieur Curieux risque bien de voir double ! « Après le repas, Madame Double et Madame Double emmenèrent Monsieur Curieux à Doublebourg. Elles lui montrèrent le Musée d’Art moderne-derne. Toutes les toiles étaient en double ! »

J’aime les histoires de Monsieur et Madame de feu Roger Hargreaves. Si je présente celle-ci aujourd’hui, c’est parce que mes petites sœurs fêtent leurs 25 ans, soit leurs 50 ans si je cumule. (À elles deux, elles sont donc bien plus vieilles que moi, nierk nierk nierk !) Bon anniversaire, mes chères petites grumelles ! Vous ressemblez étrangement aux deux demoiselles de cet album… C’en est presque flippant !

Un mot sur le livre, tout de même. J’y ai retrouvé mon cher passé simple qui se fait désormais si rare dans les publications pour jeunes lecteurs. Ce n’est pourtant pas si compliqué de le conjuguer ! D’ailleurs, les frangines, pour votre anniversaire, voici votre cadeau !  Vous me conjuguerez la phrase suivante à tous les temps, mais surtout au présent : « Notre grande sœur est une fille extraordinaire ! » Ne me remerciez pas, c’est de bon cœur !

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Billevesée #198

Parmi mes fruits préférés, il y a les fruits rouges qui sont des baies. Pour moi, les baies, ce sont des petits fruits sucrés. Gardez « petits » en tête.

Voyons la définition de l’ami Wikipedia : Une baie est un type de fruit charnu, en général indéhiscent et contenant une endocarpe charnu, ce qui la différencie de la drupe chez laquelle l’endocarpe est sclérifié (cerise, pêche, noix de coco).

Donc, première révélation pour bibi : si la cerise est un fruit rouge, ce n’est pas une baie.

Maintenant, voici des fruits qui sont des baies : airelle, avocat, banane, citron, myrtille, orange, pastèque, raisin, tomate. Oui, j’ai bien dit pastèque !

Vous avez dit 5 fruits et légumes frais par jour ? Avec 5 myrtilles, on est loin du compte, mais avec 5 pastèques ???

Alors, billevesée ?

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Le Chat fait des petits

Coffret de bandes dessinées de Philippe Geluck.

Le fou rire commence avec l’illustration du coffret. Le Chat pose pour un portrait de famille, clébard compris, et il nous apprend qu’il a sous-traité le dernier. Voilà une BD qui aura du chien ! Passons aux petits (albums) du coffret, chacun dédié à un descendant. Précision, en principe, vous ne pouvez pas trouver ces trois albums indépendamment les uns des autres, sauf si des lecteurs ont pris au pied de la lettre ce que l’auteur a indiqué sur la page des crédits.

Les desseins du Chat

Fidèle à lui-même, le Chat reste un individu plein de bon sens, de bonhommie et d’à-propos. Il paraît que le rire est bon pour la santé. Les produits frais aussi. « Un bon diététicien doit avoir au moins 5 patients par jour. Par exemple, une grande asperge, un avocat, une patate et un ou deux cornichons. » (p. 5) Le Chat est-il le meilleur ami de la femme ? À vous de juger. « Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas plus de femmes au volant en F1, vu que c’est une discipline où on ne doit pas changer de roue soi-même. » (p. 9) Oui mais, il dit aussi ceci. « Le jour où on atteindra la parité absolue, il y aura autant de femmes-grenouilles que d’hommes, autant de femmes-tartines que d’hommes-sandwichs. Il n’y aura pas plus d’hommes-orchestre que de femmes-objet et autant de femmes à barbe que d’hommes à tout faire. Et les volontaires diront indifféremment ‘Je suis votre homme’ ou ‘Je suis votre femme’. » (p. 24) Et sinon, l’auteur essaie de nous faire croire qu’on peut dessiner dans un taxi parisien ou en marchant et que ça donne quelque chose de propre. Je dis ça, entre nous, il nous prend un peu pour des billes…

Le scrabble du dimanche

Pauvre M. Geluck ! Dans ce carnet de croquis, il nous explique comment sa tendre moitié lui impose des parties d’un célèbre jeu à base de lettres et de mots compte triple. Comme son coffret compte aussi triple, on est certain de gagner la partie ! « On fait un petit scrabble ? / Avec plaisir ma chérie ! J’étais en train de lire un bouquin passionnant mais ça me fait plaisir de l’abandonner. (Aaallez… Elle va dire « Continue à lire mon amour, c’est dimanche pour tout le monde. » Elle va le dire. Elle va le diiire. Tiens, elle ne le dit pas.) » En plus d’avoir institué le scrabble en pratique dominicale obligatoire, Mme Geluck met des branlées pas piquées des vers à son dessinateur de mari. Si seulement il avait le droit de passer son tour !

Prêchi-prêchat

Mais où va-t-il chercher tout ça ? « Pourquoi quand on me parle de blu-ray, je pense obligatoirement à la schtroumpfette ? Pourquoi ? » (p. 7) Aucune blague ne tombe à plat et le rire n’est pas forcé. Peut-être ne prêche-t-il que des convertis ? Eh bien, même pas ! Sache que si tu es puceau en matière de blagues du Chat, tu peux communier à la grande rigolade. Oui, viens, c’est par ici. Darwiniste, tu es aussi le bienvenu. « Finalement, il n’y a pas 36 solutions : soit l’homme descend du singe, soit il descend de Dieu. Et si on arrêtait de se chamailler ? Et on se met tous d’accord pour dire que l’homme descend de Dieu, mais que Dieu était très très poilu et qu’il passait son temps à manger des bananes en faisant des grimaces. » (p. 66 & 67)

La gazette du Chat

Quelles sont les nouvelles à Geluckland ? En dépit de sa périodicité aléatoire, cette feuille de chou nous présente l’actualité brulante du monde du Chat. Il est entre autres choses question de l’ouverture d’un musée dédié au Chat et à l’œuvre de Philippe Geluck. « Le Cat continue à conquérir la planète !, moins vite certes que la connerie ambiante et les fanatismes de tout poil, moins vite, sans doute, mais plus pacifiquement. Après le Brésil avec La Bible selon le Chat, l’Angleterre et les USA (plus de 50 exemplaires offerts et 2 achetés sur Amazon.com), la Finlande, le Liban, la Flandre (et les Pays-Bas),… la Chine et le Japon sont en train de succomber aux charmes ravageurs du Brad Pitt de l’humour. » D’aucuns objecteront que les articles de ce journal sont tous signés par un membre de la famille Geluck et que ça sent un peu le foutage de gueule, tout ça. Ces esprits cha(t)grins ne sont certainement pas cha(t)rlie : la liberté de la presse est un droit inaliénable !!!

Philippe Geluck aime nous mettre en boîte. Ou en coffret. Après La Bible selon le Chat et Le chat passe à table, voici un nouvel ensemble de bandes dessinées au format à l’italienne. Vingtième volume de la série, Le chat fait des petits n’en finit pas de nous faire rire.

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Les cinq cent millions de la Bégum

Roman de Jules Verne. Illustrations de L. Benett.

Le docteur Sarrasin, paisible praticien français, hérite soudainement d’un petit royaume dans la province de Bengale et de plus de 500 millions de francs. Mais cet héritage fabuleux lui est disputé par le professeur Schultze, un Allemand convaincu de la supériorité de son pays. « Cela peut devenir un grand danger, une subite fortune pour certaines natures. » (p. 29) Les millions sont finalement partagés : alors que le docteur Sarrasin fonde France-Ville, cité moderne et modèle, le professeur Schultze construit Stahlstadt, cité ouvrière partagée entre les mines et les fonderies. L’Allemand ne s’en cache pas, il veut anéantir sa voisine française à coup de canons et de projectiles meurtriers. Infiltré dans la cité armée, Marcel Bruckman, pupille du docteur Sarrasin, met tout en œuvre pour percer à jour les sombres desseins du professeur Schultze. « Nous faisons ici le contraire de ce que font les inventeurs de France-Ville ! Nous cherchons le secret d’abréger la vie des hommes tandis qu’ils cherchent, eux, le moyen de l’augmenter. Mais leur œuvre est condamnée, et c’est de la mort, semée par nous, que doit naître la vie. » (p. 124)

Avec ce roman d’anticipation et d’espionnage, Jules Verne présente une peinture visionnaire cruellement précise de ce que sera le conflit franco-allemand de 14-18. Le récit est très manichéen et oppose les partisans du bien et de l’homme à ceux du mal et de la destruction. C’est avec un paternalisme éclairé que Jules Verne professe que les sciences n’ont de valeur que si elles sont mises à profit avec vertu et sagesse. Dans le même sens, il rappelle que la richesse ne fait le bonheur que si elle est partagée et mise au service de l’élévation de l’humanité. Les personnages sont des archétypes : l’Allemand belliqueux, le Français humaniste, l’Alsacien méritant, etc. « Marcel n’était pas seulement d’un mérite transcendant dans toutes les branches du métier, c’était aussi le plus charmant compagnon, le travailleur le plus assidu, l’inventeur le plus modestement fécond. » (p. 109) Ce roman est d’une grande simplicité dans sa construction, mais le charme opère toujours avec Jules Verne.

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Concerto pour 4 mains

Roman de Paul Colize.

Le 18 février 2013, un fourgon chargé de diamants est braqué et dépouillé, le tout en un temps record. « En tout état de cause, le panel d’experts interrogés s’accorda à considérer que ce braquage resterait vraisemblablement dans les annales criminelles comme le casse du siècle. » (p. 14) Qui est à l’origine de ce vol d’une grande précision ? Est-ce Franck Jammet, braqueur de renom, déjà suspecté d’autres affaires retentissantes ? Et quel est le lien avec Akim Bachir, petit escroc sans envergure, arrêté pour un braquage minable ? Alors que Jean Villemont, son avocat passionné d’escalade, travaille à le défendre, il comprend que les affaires sont liées. Avec l’aide de Leila Naciri, une jeune consœur, il creuse le dossier et trouve un réconfort à ses déboires personnels.

Le roman est construit sur des temporalités décalées et qui progressent à des vitesses différentes. D’une part, il y a Jean en 2013 qui travaille sur son affaire jour après jour. D’autre part, il y a Franck à partir des années 1980 et jusqu’en 2013 : on le voit élaborer ses premiers coups, monter son équipe, trouver l’amour. Évidemment, les deux temporalités et les deux personnages finissent par se rejoindre au cours de la narration. Rencontre au sommet entre l’élégant braqueur et le distingué avocat.

Concerto pour 4 mains est un véritable page turner. D’ordinaire, les histoires de braquage m’ennuient considérablement. Paul Colize sait rendre ses personnages intéressants, notamment grâce à l’alternance des points de vue : en laissant son lecteur en haleine le temps de quelques pages, il renforce son attention et son envie de livre le chapitre suivant. Prison, cavale, séparation, planques, on a tout l’attirail des histoires de méchants, avec une touche unique : la musique. Paul Colize connaît la chanson, comme il l’a montré dans Back up. Et on suit son texte comme on lirait une partition impeccablement réglée. Le concerto, c’est entre le lecteur et l’auteur qu’il se joue, avec maestria !

*****

Rencontre avec Paul Colize, mardi 6 octobre 2015.

Disons-le sans attendre, Paul Colize est un charmant charmeur, un braqueur de lecteurs. Avec quel talent et quelle finesse, il s’empare de l’attention de l’assemblée !

Il dit aimer le jazz, le rock, la musique classique, Jacques Dutronc et bien d’autres. S’il parle de musique dans ses romans (Lisez Back up !!!), c’est parce qu’il veut flatter les cinq sens. Mais Paul Colize est aussi un joueur et il aime monter des casse-têtes pour ses lecteurs. Un roman comme un jeu d’échecs ou comme une partition, ça reste un code à déchiffrer, mais il ne faut pas que le code soit impossible à craquer. Ce que cherche Paul Colize, c’est que son lecteur ait envie d’un autre chapitre avant d’aller se coucher, l’idéal étant qu’il se couche en ayant terminé le livre.

Paul Colize a de l’humour et le sens de la formule. « À quand remonte votre premier braquage ? », demande-t-il à l’assemblée. On entend alors parler de peluches dérobées dans des lits de bébé, de goyaves chourées dans le jardin du presbytère, d’images Panini chipées chez le buraliste ou de cailloux brillants soustraits sur des tombes. Voilà, c’est dit, chacun est un braqueur. « Si vous ne vous êtes pas fait prendre, pourquoi n’avez-vous pas continué ? » Ah, oui, bonne question. Mais peut-être que le lecteur est un braqueur invétéré puisqu’il s’empare sans vergogne des textes et des histoires.

Concerto pour 4 mains se déroule en Belgique. « Je suis contre l’idée d’écrire un roman aux États-Unis. […] Il faut connaître la ville, la mentalité, la façon de parler. » Poser son intrigue dans un lieu connu, c’est profiter d’une zone de confort pour mieux aller explorer des espaces inconnus. Le braquage, par exemple. Paul Colize n’a pas de passé judiciaire. C’est avec l’aide d’un avocat pénaliste – qui a largement prêté ses traits à Jean Villemont – et d’un braqueur repenti – qui a pas mal inspiré Frank Jammet – qu’il a monté ce roman de haute voltige.

Parlons du style. Les fioritures, Paul Colize ne connaît pas. Il vise l’efficacité : il faut faire le plus court et le plus ramassé possible, utiliser des mots qui créent des images pour atteindre une écriture visuelle et chercher la fluidité. On n’est pas loin d’un modus operandi pour monter un braquage…

Il en a dit encore beaucoup, Paul Colize, pendant cet entretien mené par Babelio. Je ne vous dis pas tout, je garde mon butin pour moi.

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Petit Piment

Roman d’Alain Mabanckou.

Tokumisa Nzambe po Mose yamoyindo abotami namboka ya Bakoko, dit Moïse, dit Petit Piment, grandit à l’orphelinat de Loango, au Congo. Quand le directeur de l’institution, Dieudonné Ngoulmoumako, fait renvoyer Papa Moupelo, le prêtre qui apprenait des chants et des danses aux enfants, Petit Piment sent que le vent tourne, que tout change. Le directeur ne jure que par la révolution socialiste et la fermeté en matière d’éducation des enfants. « Donner une fessée aux enfants, c’est normal ! Moi-même j’ai été élevé de la sorte, et ça a marché ! On ne va pas en faire tout un plat de port aux bananes plantains ! » (p. 119) Un jour, la coupe est pleine et Petit Piment s’enfuit de l’orphelinat pour rejoindre Pointe-Noire, découvrir la cruauté de la survie et l’injustice du monde. Alors qu’il perd toutes les personnes qui comptent pour lui, il perd aussi la tête. Et quand il la retrouve, c’est pour raconter son histoire, sans espoir de pardon. « Les eaux de la terre ne pourront jamais procurer de la pureté à qui que ce soit. » (p. 178)

Malheur ! La quatrième de couverture est beaucoup trop bavarde ! Oublions cela et approchons-nous de Dieudonné Ngoulmoumako, ce personnage grotesque que Molière n’aurait pas renié dans ses tragicomédies. Despote opportuniste adepte du népotisme, l’homme est odieux, écœurant et ridicule. Il pourrait être un esprit vilain dans un conte de griot. Quant à Petit Piment, il a gagné son nom grâce à ses hauts faits à l’orphelinat : ce justicier raté est touchant, lui qui est témoin et victime des crises qui secouent son pays.

Drôle et lucide, ce roman donne à voir tout un monde de petites gens aux destins moins ordinaires qu’il y paraît. Comme toujours, la voix d’Alain Mabanckou sonne haut et clair : asseyez-vous et écoutez !

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Billevesée #197

Cette semaine, j’ai bien travaillé et j’ai trouvé ce que je cherchais.

Penchons-nous (c’est le cas de le dire) sur l’expression « sur les chapeaux de roues ». Elle est dérivée de l’expression plus longue « prendre un virage sur les chapeaux de roues ».  Il faut comprendre que le conducteur prend un virage tellement vite que les enjoliveurs – ou chapeaux de roues – donnent l’impression de toucher le sol quand ils s’inclinent.

Un peu d’histoire : cette expression remonte à l’époque où les véhicules basculaient toujours vers le côté extérieur dans les virages (question de poids, de tenue de route, tout ça… Pour plus d’infos, interrogez un constructeur auto, moi j’ai pas mon permis.) Ainsi, plus le véhicule allait vite, plus l’inclinaison vers l’extérieur était importante et plus il semblait que les enjoliveurs touchaient le sol.

Alors, billevesée ?

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Les ennemis de la vie ordinaire

Roman d’Héléna Marienské.

Gunter est un joueur invétéré. Pablo est accro au sport et à l’effort physique. Jean-Charles se défonce à l’héroïne plusieurs par jour. Mariette est sans cesse en quête d’une nouvelle dose. Mylène est acheteuse compulsive. Elizabeth est alcoolique. Damien est accro au sexe. Ces sept personnes malades, chacune soumise à une addiction, sont réunies dans un groupe de parole encadré par Clarisse, thérapeute ambitieuse qui veut innover en manière de guérison. D’abord circonspects, les malades commencent à se confier. « C’est tout con, vous savez. Je veux pas crever. Je voudrais vivre, un peu au moins. » (p. 40) Avec la parole libératrice vient la prise de conscience et le début d’une camaraderie, et plus si affinités. Clarisse est rapidement dépassée par le groupe et sa volonté de guérir. Pour éponger les dettes des uns et des autres, le groupe se met au poker. « Si tu savais comme je le sens, le potentiel de notre équipe… On veut tous s’en sortir, tu vois ? / Une team pour quoi, d’abord ? C’est quoi cette histoire de team ? / Une team pour s’entraider. On travaille ensemble, on s’entraîne, on s’entraide. » (p. 208) Et voilà les sept malades qui écument les tables de jeu et les tournois internationaux.

Apprendre le poker pour se bluffer soi-même et se mentir, c’est un peu le problème de nos addicts de tous bords. Alors qu’ils luttent et échouent face à leurs dépendances, ils se découvrent des affinités et des faiblesses. Hélas, alors que le roman était d’abord attachant et drôle, il vire à l’improbable et au grand n’importe quoi. Ça commence comme un film de Claude Lelouch et ça finit comme un film de Paul Thomas Anderson. J’aime les deux réalisateurs, mais que le premier mute vers le second m’évoque plutôt le résultat d’un accident nucléaire que le dévoilement d’un super héros. Dernier point : je réagis de façon épidermique au namedropping bobochic. Désolée, zéro indulgence quand ça ne sert pas le propos.

Je garde en revanche un excellent souvenir d’un précédent texte de l’auteure, Le degré suprême de la tendresse, où il est question de sexe, de fellation et de castration.

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La ligne verte

Roman-feuilleton de Stephen King.

J’ai lu ce roman dans la version Librio en 6 tomes qui reprend les chapitres de la première publication.

Deux petites filles mortes / Mister Jingles / Les mains de Caffey / La mort affreuse d’Edouard Delacroix / L’équipée nocturne / Caffey sur la ligne

En 1932, Paul Edgecombe, gardien-chef du bloc E du pénitencier Cold Mountain, accueille un nouveau détenu, le grand John Caffey. Le colosse noir a été reconnu coupable du viol et du meurtre de deux petites filles blanches. Dans ce bloc recouvert d’un linoléum vert, il y a la chaise électrique. Et les condamnés savent que la ligne verte est le chemin vers la mort. Brutus Howell, Harry Terwilliger, Dean Stanton et Percy Wetmore sont les gardiens du bloc. « Notre travail est de dialoguer avec les prisonniers, pas de hurler. […] Un homme qui hurle est un homme qui a perdu le contrôle. » (p. 16, tome 2) Hélas, Percy Wetmore n’a retenu de sa fonction que le droit de tuer, et sa présence dans le couloir des condamnés sera la source de bien des drames pour tous les détenus. Mais c’est compter sans la magie que dispensent les mains de John Caffey et la joie de vivre qu’offre Mister Jungles, une petite souris apprivoisée.

Avec ses six chapitres, l’histoire bénéficie d’une belle montée dramatique. Raconté par Paul, des décennies après les faits, le récit a des airs de mémoires, mais également de confession. Avec humilité et lucidité, Paul Edgecombe relit l’histoire des juges et des coupables. La conclusion est bouleversante : il y a peu d’innocents, mais il y a souvent des victimes et parfois des miraculés.

J’ai maintenant hâte de revoir le film dans lequel Tom Hanks a excellé.

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Chantier

Roman de Stephen King, sous le pseudonyme de Richard Bachman.

Bart Dawes est marié, responsable d’une blanchisserie prospère et propriétaire d’une jolie maison. Mais il est sur le point de tout perdre : l’extension de l’autoroute 784 va passer dans sa rue et le voilà exproprié de son domicile et des locaux de la blanchisserie. Au lieu d’accepter la compensation de la mairie et de trouver une nouvelle maison, Bart rumine contre ce chantier qu’il considère comme une injustice. « Cette saleté d’autoroute ! C’est ça qui a tout foutu en l’air. » (p. 98) Obsédé par les travaux, les démolitions et les engins de chantier, Bart se laisse glisser dans un monde fait de ressentiment et de colère. Dépossédé de ses biens matériels, séparé de son épouse, Bart n’a décidément plus rien à perdre après la mort de son petit garçon. « À quoi bon penser tout le temps à Charlie, Bart ? Cela te détruit. Tu es devenu son prisonnier. » (p. 377) Et qu’y a-t-il de plus dangereux qu’un homme qui n’a plus rien à perdre ?

Dans ce thriller psychologique, le monstre est ce ruban bitumé qui dévore les maisons et les commerces d’une petite ville tranquille. Le monstre est aussi une bureaucratie inepte qui broie les destins individuels au nom de la communauté. « Je me débrouillais, et tout allait plutôt bien, jusqu’à ce que ces types des ponts et chaussées décident d’éventrer ma vie. » (p. 129) Stephen King parle ici du couple, de l’alcoolisme, de l’impuissance de l’individu. Il évoque également la crise de l’énergie, et notamment du pétrole, qui inquiétait la population américaine au moment de l’écriture du livre.

Je n’ai pas été vraiment convaincue par ce roman, principalement parce que je n’ai pas compris qui étaient Fred et George : apparemment, ce sont des voix intérieures qui tourmentent Bart, mais le narrateur utilise ces prénoms pour désigner des personnages qui portent également d’autres noms. Un peu confus, tout ça. Par ailleurs, le personnage de Mary, l’épouse de Bart, me semble mal construit et incohérent. Chantier sent le roman de jeunesse à plein nez et c’est bien à ce titre qu’il faut le considérer pour ne pas trop le déprécier.

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Les Tommyknockers

Roman de Stephen King.

Tome 1 – Roberta Anderson, que tout le monde appelle Bobbi, vit tranquillement dans sa maison isolée de Haven, petite bourgade du Maine. Elle s’occupe de ses terres et écrit des romans sur le Far West. Quand elle butte sur un morceau de métal dans la forêt, elle ne sait pas qu’elle entre dans un processus terrible et dévastateur qui va toucher bien plus que sa petite maison et ses bois. Tout Haven sera contaminé par ce qui se cache sous terre et que Bobbi va mettre la plus grande ardeur à déterrer. À des centaines de kilomètres, son ami Jim Gardener, poète vaguement reconnu et alcoolique largement notoire, pressent que quelque chose ne va pas pour Bobbi. Serait-ce les Tommyknockers qui viennent frapper à la porte de son amie ? Apportent-ils le bien ou le mal ? « Si le cancer avait une couleur, ce serait celle qui dégoulinait de chaque fente ou fissure, de chaque trou, de chaque fenêtre condamnée du hangar de Bobbi Anderson. » (p. 278)

Hop, le décor est planté, les petits hommes verts sont parmi nous. Non, ce n’est pas un spoiler, Stephen King aime les extraterrestres et il sait faire preuve d’une grande autodérision quand il en met dans ses romans. « C’était une soucoupe volante. La théorie des soucoupes volantes avait été complètement discréditée par l’armée de l’air, par les plus grands savants, par les psychologues. Aucun écrivain de science-fiction qui se respectait n’oserait plus en parler dans ses histoires, et s’il le faisait, aucun éditeur de science-fiction qui se respectait ne toucherait le manuscrit, même du bout d’un bâton de trois mètres. » (p. 244) En prime, un discours antinucléaire bien appuyé et voilà un roman du King qui commence plutôt bien !

Tome 2 – Depuis quelque temps, tout le monde à Haven construit des bidules étranges et perfectionnés, même les moins manuels, même les moins dégourdis. Quelque chose leur parle et prend différents visages. « Les pensées qu’elle avait maintenant ressemblaient au murmure du public à travers le rideau fermé avant que les représentations ne commencent. On ne saisit pas ce que disent les gens, mais on sent qu’ils sont là. » (p. 25) Outre les inventions de génie, il se passe de drôles de choses à Haven : une femme tue son mari, un tour de magie tourne au drame, l’Hôtel de ville explose, les migraines et les saignements sont monnaie courante. Ah, et tout le monde perd ses dents. Il paraît que c’est le premier stade de l’évolution. Et Bobbi, maintenant aidée par son ami Gardener, continue de dégager le vaisseau enfoui dans les bois.

La description de corps abîmés, avec Stephen King, c’est toujours réussi et bien dégueu : ça coule, ça saigne, ça pourrit, ça devient vert et ça pue. Oui, il faut avoir les tripes bien en place pour lire certains passages. Mais finalement, le glauque est tellement appuyé, tellement exagéré, que tout cela devient ridicule à hurler de rire, comme les mauvais maquillages d’un nanar diffusé pendant la nuit. Bizarrement, moi, j’en redemande !

Tome 3 – Désormais, il est bien difficile d’entrer ou de sortir de Haven. Étranger, toi qui entres ici abandonne tout espoir ! « Haven se trouvait actuellement en situation critique. Haven était en fait devenu un pays en soi, dont les frontières étaient bien gardées. » (p. 168) Et pourtant, la terrible Anne Anderson, venue de New York, est bien décidée à régler ses comptes avec sa sœur Bobbi. Dommage, Anne, tu n’as rien vu venir… Dans les bois, le vaisseau est maintenant presque entièrement dégagé, il ne reste plus qu’à trouver une entrée. Mais ce qui tracasse surtout Gardener, qui est immunisé contre ce que l’air d’Haven contient, c’est ce qui se trame dans le hangar de Bobbi. Mais Bobbi est-elle encore Bobbi alors que l’évolution est presque terminée ?  « J’espère que tu te souviendras que je n’ai pas demandé à trébucher sur ce foutu machin. / Mais tu as choisi de creuser. » (p. 82) Pour sauver Haven et pour sauver le monde, il faudra bien que quelqu’un se sacrifie et envoie au diable cette mauvaise soucoupe volante qui a fait tant de dégâts.

Bon, soyons honnête, cette histoire a pris un bon coup de vieux depuis les années 1980, surtout si on la lit à l’aune des derniers romans de son auteur, mais Les Tommyknockers reste un divertissement horrifique de très bonne facture ! Ce n’est plus un secret, j’aime les romans de Stephen King, les thèmes qu’il aborde et son ton toujours si juste et si drôle. Le roi de l’épouvante est un champion de l’autodérision : il sait prendre du recul sur son œuvre, témoignant ainsi d’un bel humour et d’une grande humilité. Je sais qu’il existe un film ou un téléfilm adapté de ce roman : je suis certaine qu’il a dû également très mal vieillir, mais il doit offrir une bonne tranche de rigolade. Parfait pour Halloween !

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Le talisman

Roman de Stephen King et Peter Straub.

Jack Sawyer a douze ans. Alors qu’il a déjà perdu son père, il comprend que sa mère est malade et qu’elle cherche à le cacher, ce qui explique cette fuite depuis la Californie pour échapper à Morgan Sloat, l’ancien partenaire de son époux. Sa rencontre avec Lester Speedy Parker va bouleverser l’existence de jeune garçon : il découvre les Territoires, monde parallèle au sien où de nombreux humains ont leur Double. S’il veut sauver sa mère, il doit se rendre dans ce pays inconnu et dangereux et s’emparer du Talisman. Cet artefact a le pouvoir de guérir sa maman, mais aussi la reine Laura DeLoessian qui se meurt dans les confins des Territoires. « Chez eux la magie remplace la physique, n’est-ce pas ? Une monarchie agraire qui utilise la magie à la place de la Science. » (p. 241 et 242) Dans sa quête vers l’ouest entre ici et là-bas, Jake devra affronter de nombreux dangers, Morgan Sloat et son Double se lançant à ses trousses dans les deux mondes.

Je ne connais pas Peter Straub, mais je connais Stephen King et je l’ai bien retrouvé ici, notamment dans sa façon de gérer le rythme de l’intrigue, l’enchaînement des péripéties et l’évolution de la personnalité du héros. Impossible de ne pas penser au jeune et courageux Jake du cycle de La tour sombre, cet enfant convaincu que d’autres mondes existent et n’hésitant pas à franchir le portail qui les sépare. Je n’ai toutefois pas été vraiment convaincue par ce roman qui me semble déjà plutôt adressé aux jeunes lecteurs. Manque de bol, je commence à m’éloigner de ma première fraîcheur. Mais ce qui m’a surtout gênée, c’est que Jack est davantage en danger dans son monde que dans les Territoires. J’en veux pour preuve les longs épisodes dans le bar-restaurant et dans le pensionnat. À côté, les Territoires n’ont plus qu’un aspect vaguement inquiétant et même la menace du Double de Morgan Sloat m’a semblé être un pétard mouillé.

Toutefois, tout n’est pas à jeter dans cet univers médiéval fantastique. J’ai apprécié l’idée de l’interconnexion des deux mondes : il n’y a pas seulement un portail qui les relie, mais également des responsabilités. « Je crois que nous devons être très attentifs à ce que nous faisons là-bas. Je crois que n’importe quel changement important, véritable, que nous leur apportons peut se retourner contre nous et avoir, ici, des répercussions terribles. » (p. 243)

Je garde la suite de cette histoire pour une autre fois et je m’en vais de ce pas découvrir un autre roman du King.

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Joyeux Halloween !

J’aime octobre et novembre, leurs promesses d’automne, de soirées précoces et de longues nuits. J’aime les rues trempées de feuilles et la brume du matin qui noie les silhouettes.

À la frontière de ces deux mois, j’aime Halloween et la frousse gentille que cette fête autorise.

En vrai, je suis une trouillarde, une poule mouillée, une chochotte. Je ne supporte pas les films d’horreur et autres trucs ultra violents. Mais en matière de frousse, il y a un auteur qui me plaît beaucoup. Vous avez deviné ? Oui, c’est bien lui, le roi de l’épouvante et du glauque à la sauce américaine, Stephen King !

Pour vous faire partager cet esprit d’Halloween qui me ravit tant (et vous faire claquer des dents), je vous propose toute la journée des billets sur des romans de Stephen King.

Alors, un bonbon ou un sort ?

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La châtelaine de Wildfell Hall

Roman d’Anne Brontë.

Gilbert Markham fait le récit de sa rencontre avec Mrs Graham : dans les lettres qu’il adresse à son ami Halford, ce gentilhomme campagnard revient sur l’arrivée dans le voisinage de la mystérieuse locataire de Wildfell Hall, ce vieux château presque abandonné. Pourquoi la belle et triste Mrs Graham fuit-elle la société de ses voisins ? Pourquoi est-elle si stricte et protectrice envers son jeune garçon, Arthur ? Le rapprochement est lent entre Markham et Mrs Graham, et sans cesse remis en question par les secrets qui pèsent sur le passé de jeune veuve. Quand cette dernière confie son journal au narrateur, elle lui offre son histoire et ses malheurs.

La vision de la femme dans ce roman est assez déprimante pour tout lecteur moderne. Voyons cela de plus près : « En matière domestique, deux choses seulement importent : les faire bien et les faire au goût des hommes de la maison ; […] c’est assez bon pour les femmes. » (p. 36) C’est tout le malheur de Mrs Graham, Helen de son prénom, qui a un caractère qui ne plaît pas à son mari. « Je tenais à lui prouver que mon cœur n’était pas son esclave, que je pourrais très bien vivre sans lui si je le voulais. » (p. 137) Et ça, son époux ne le supportait pas. Et tout est bien détaillé dans le journal de la jeune femme. Le dénouement est finalement très attendu, romantique à souhait.

Passons sur la construction très artificielle du roman, entre lettres et journal, et venons-en au problème majeur. Je ne cesserai jamais de vitupérer contre les mauvaises traductions des titres d’œuvres littéraires en particulier et artistiques en général. Le titre original est The Tenant of Wildfell Hall qu’il aurait fallu traduire par La locataire de Wildfell Hall. Qualifier de châtelaine celle qui ne fait qu’occuper temporairement les lieux est un abus dommageable puisqu’il donne au lecteur une idée trop élevée de la condition du personnage, condition certes avérée, mais qui n’est révélée que tardivement dans le roman. Il est primordial de considérer Mrs Graham avec compassion, voire avec pitié pour que les révélations de son journal aient l’effet escompté. Donc, saloperie de traduction du titre !

Dans l’ensemble, ce n’est pas une lecture déplaisante puisqu’elle m’a permis de côtoyer une nouvelle fois la moins connue des sœurs Brontë dont j’ai toutefois préféré le roman Agnes Grey.

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La dame à la camionnette

Texte d’Alan Bennett.

Quatrième de couverture : Miss Shepherd, vieille dame excentrique, vit dans une camionnette aux abords de la résidence londonienne d’Alan Bennett. Victime de l’embourgeoisement du quartier et de quelques vauriens, elle finit par installer son véhicule dans la propriété de l’auteur. Commence alors une incroyable cohabitation qui durera près de vingt ans. Entre disputes, extravagances et situations drolatiques, la dame à la camionnette n’épargne rien à son hôte ni au lecteur.

« Il se passe rarement un jour à présent sans qu’il se produise un incident impliquant la vieille dame, d’une manière ou d’une autre. » (p. 24)

Si j’ai choisi de citer la quatrième de couverture, c’est qu’elle en dit suffisamment et que tout résumé personnel n’aurait été qu’une vulgaire reformulation. Et surtout parce que, n’ayant pas vraiment accroché à ce texte, j’ai bien du mal à m’impliquer dans ce billet de blog.

En regroupant des notes prises dans différents journaux personnels, Alan Bennett dresse un portrait de cette envahissante voisine autoproclamée. Au fil des instantanés et des situations, le lecteur ressent sans difficulté la tendresse agacée et la bienveillance coupable de l’auteur. Oui, Alan Bennett est exaspéré par cette vieille excentrique qui a installé un taudis dans son jardin et qui, souvent, s’impose en parasite. Mais comment la rejeter, comment la repousser sans piétiner les principes les plus simples et les plus humains de la charité ? Devant les déboires que subit Miss Shepherd, l’auteur ne sait être insensible, mais c’est surtout lui qui est gêné. « Je suis convaincue que ces agressions sont plus préjudiciables à mon équilibre intérieur qu’au sien. En menant l’existence qui est la sienne, elle a dû être quotidiennement confrontée à ces manifestations de la cruauté humaine. » (p. 26)

Je n’ai pas été convaincue par cette histoire. À sa manière, l’auteur tente de préserver de l’oubli une figure locale dont l’identité et l’histoire sont pleines de mystères. Mais je ne suis pas certaine qu’il réalise ce travail de mémoire pour la vieille dame : il me semble que son entreprise est plutôt sa façon de s’excuser. Hélas, les excuses interviennent quand le mal est fait, toujours trop tard. Donc, bien que le récit reste émouvant, il me paraît très artificiel et assez peu honnête sur ses motivations intrinsèques. D’Alan Bennett, je vous conseille plutôt La reine des lectrices, une autre histoire de vieille dame indigne.

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Billevesée #196

J’ai cherché sans succès : quelqu’un peut m’aider à trouver l’origine de l’expression « avoir l’air mal en point » ?

(Oui, je vous fais un peu bosser de temps en temps.)

Alors billevesée ?

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La bibliothèque perdue – Autobiographie d’une culture

Texte de Walter Mehring.

Dans sa préface, Robert Minder présente avec concision et acuité la nature de cette œuvre unique : « En même temps qu’évocation d’une société dans ce qu’elle a de futile et d’éphémère, cette Bibliothèque perdue est l’analyse des valeurs qui ont résisté à l’épreuve. » (p. 12)

Pourquoi est-elle qualifiée de perdue, cette bibliothèque ? Hélas, alors qu’il avait hérité de son père une fabuleuse collection d’œuvres de tous les pays et de toutes les époques, Walter Mehring en a été dépossédé par le Troisième Reich qui l’a faite saisir et brûler jusqu’à la dernière page. Durant sa captivité dans le camp de Saint-Cyprien en tant qu’apatride étranger ennemi, Walter Mehring a reconstitué en souvenirs, aussi précisément que possible, la bibliothèque perdue : dans son cas, comme pour tant d’autres prisonniers des camps nazis, la mémoire fut la seule protection contre l’annihilation et l’effacement de l’humanité.

Alors que Mehring père croyait fermement que la culture et la littérature étaient le meilleur rempart contre la barbarie et les ténèbres humaines, Mehring fils fit l’expérience de l’exact contraire des certitudes de son père. « L’âme d’un peuple – l’âme en tant que symbole, naturellement –  s’exprime dans les chefs-d’œuvre de sa littérature, disait mon père. » (p. 37) Les livres sont en effet un rempart lourd de sens, mais bien fragile aux flammes.

Parcourant en mémoire les rayonnages de la bibliothèque paternelle, Walter Mehring dresse un inventaire riche et éclectique dans lequel les auteurs parlent et se répondent à travers les siècles et les cultures. Ce dialogue du monde et des temps prouve qu’une bibliothèque n’est pas figée quand elle est utilisée et visitée : elle peut être mouvante, vivante, presque sensible. « La vie humaine ne vaudrait pas un fétu si la littérature n’extrayait un peu d’or de sa quintessence. » (p. 112)

Dans son ouvrage, Walter Mehring répond à une question fondamentale : que garde-t-on de son héritage ? La possession des biens est-elle la seule qui compte ? Il apparaît nettement que ce qui nous est donné est véritablement perdu si nous ne le connaissons pas, si nous n’apprécions pas sa valeur et si nous ne regrettons pas sa disparition. « Jamais encore je n’avais possédé ma bibliothèque livre par livre comme en ce moment où j’appris sa perte. » (p. 229) La bibliothèque perdue est une bibliographie, une autobiographie et une histoire du monde dans ce qu’il avait de meilleur. C’est aussi un catalogage érudit et ému qui ne peut que bouleverser toute personne aimant les livres.

Ce texte est immensément alléchant : comment ne pas vouloir lire tous les ouvrages évoqués ? Par plaisir et certainement par masochisme, j’en ai dressé la liste sur Babelio : voilà des années de lecture devant moi !

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Petites histoires à lire avec mon bébé – Mon doudou

Justin le lapin – Texte de Bénédicte Carboneill et illustrations de Rosalinde Bonet.

Le doudou Justin le lapin ne veut pas aller dans la machine à laver. Il se cache dans tout l’appartement (et dans chaque page), mais son petit garçon finit par le trouver, tout sale. « Et voici le doudou dans le lavabo, tout mouillé et plein de mousse. » Le doudou est maintenant tout propre, prêt pour les câlins !

Le doudou d’Elliot – Texte de Delphine Bolin et illustrations Elen Lescoat.

Lunabelle la sorcière veut fabriquer le doudou parfait pour son petit garçon. Mais Elliot est difficile à contenter. « Soudain, pendant la promenade, Elliot cesse de pleurer. Il regarde trottiner une affreuse araignée. » Et c’est ça qui plaît à Elliot : hop, d’un coup de baguette, Lunabelle fabrique un doudou pour son petit garçon !

Gros plaisir avec ce joli album carré aux pages solides et épaisses. Les dernières pages proposent un jeu de différences pour éveiller l’attention des petits lecteurs. Et un doudou lapin, comment y résister ?

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Opéra muet

Roman de Sylvie Germain.

Gabriel mène une vie morne. Une fois achevé son travail de photographe, il se réfugie entre les quatre murs de son appartement dont les fenêtres donnent sur une façade qui le protège du monde. Sur ce mur s’étale le portrait du Docteur Pierre, visage fané d’une réclame pour une pâte dentifrice. « Il vivait en miroir d’un immense visage muet d’une apaisante indifférence. Il ne voulait rien d’autre. » (p. 19) Dans sa solitude et sa réclusion volontaire, Gabriel tient le monde à distance, et le Docteur Pierre l’aide à tenir ses démons en respect. Hélas, quand un chantier de démolition s’en prend à l’immeuble et au portrait défraîchi, Gabriel se sent assailli, perdu, dépourvu de repères et de protection. Quand la grande façade est tombée, il y a désormais trop de lumière dans l’appartement de Gabriel. Avec elle s’engouffrent les souvenirs d’Agathe, amour enfui aux relents de souffrance. Gabriel pourra-t-il retrouver sa sérénité ?

Symbolique, presque mystique et tout à fait solennel, ce court roman est d’une grande beauté, mais il est un peu hermétique. Et c’est avec une déception certaine que je sais être passée à côté de cette œuvre. Pour finir, un extrait qui illustre tout à fait cela.

« Blessure du temps que Gabriel n’avait pas vu passer, blessure des jours au fil desquels s’était usée lentement sa jeunesse sans crier gare, ni quoi que ce soit d’autre d’ailleurs. Blessure des nuits sans sommeil et d’espoirs sans élans, sans éclat et sans force. Blessure d’un corps rejeté sur la grève de la plus grise solitude, dans les sables amers du désir déchu de ses droits de jouissance. […] Blessure d’une mémoire confuse, ensommeillée de nostalgie et de langueur – enamourée d’une enfance devenue fabuleuse à force de distance. » (p. 127)

Rendez-vous avec un autre texte de Sylvie Germain, très bientôt.

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Billevesée #195

Une breloque est un petit objet sans valeur.

C’est également un tambour ou un ensemble de tambours militaires utilisés pour transmettre des consignes.

Alors, billevesée ?

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Canada

Roman de Richard Ford.

En 1960, Dell Parsons a 15 ans quand ses parents, acculés par une dette, décident de dévaliser une banque et sont arrêtés peu de temps après. Il passe alors du Montana au Canada, province de Saskatchewan, et commence une autre existence, loin de ses parents et de sa sœur jumelle, Berner. « À cause des choix désastreux de nos parents, la vie normale me laisse sceptique, en même temps que j’y aspire désespérément. » (p. 111) Le narrateur a plus de 60 ans quand il entreprend le récit de son adolescence saccagée. Il tente de comprendre comment son père, retraité de l’Air Force, et sa mère, fille d’immigrants juifs, ont pu vivre si longtemps ensemble alors que rien ne les rapprochait en dehors de leurs enfants. « Leurs deux mondes paraissaient n’en faire qu’un parce qu’ils le partageaient et qu’ils nous avaient. Mais il n’en était rien. » (p. 36)

Remontant l’histoire, il observe la façon dont le ressort se tend jusqu’au braquage et à l’explosion de sa famille. Ses parents dans une direction, sa sœur et lui dans une autre, ce sont quatre destins qui s’étoilent et se repoussent. « Se focaliser sur la silhouette de Berner qui s’en va ferait de toute cette histoire un récit de la perte et du deuil, et ce n’est pas l’idée que j’en ai, aujourd’hui encore. Je crois au contraire qu’elle raconte une progression, un cheminement vers l’avenir, notions qui ne sont pas toujours faciles à appréhender quand on a le nez dessus. » (p. 236) Mais Dell, nourri par l’optimisme de son père et le pragmatisme de sa mère, est décidé à tirer le meilleur parti de sa nouvelle existence à Fort-Royal, dans l’hôtel d’Arthur Remlinger. L’homme est un Américain qui a fui les États-Unis et qui profite d’une nouvelle existence au Canada. À l’instar de Remlinger, Dell veut échapper à son histoire et s’accommoder de la solitude de ses grands espaces intérieurs.

Le Canada, c’est un inconnu géographique et la terre des possibilités. « Le Canada se trouvait au-delà des chutes du Niagara sur le puzzle de mon père. Je n’avais jamais consulté l’encyclopédie à cette rubrique. C’était au nord de chez nous. » (p. 166) Lâché dans un univers parfaitement nouveau, Dell saisit la chance de tout recommencer.

Troublant, bouleversant, ce roman se lit avec patience pour en savourer toutes les beautés et tous les drames.

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Scintillation

Roman de John Burnside.

« Maintenant que cette histoire est finie, je veux la raconter en entier, alors même que je m’éclipse avant que des noms ne soient donnés ou perdus. Je veux la raconter en entier alors même que je l’oublie et ainsi, en racontant et en oubliant, pardonner à tous ceux qui y figurent, y compris moi. Parce que c’est là que l’avenir commence : dans l’oubli, dans ce qui est perdu. […] Rien ne s’éclipse, pas même la conscience de soi. Rien ne s’évanouit dans le passé ; tout est oublié et tout devient l’avenir. » (p. 11 et 12)

Ainsi s’ouvre, dans le mystère et les questionnements, le récit de Leonard, un adolescent qui aime les filles et les livres.

Et dans son récit, il y a :

  • L’Intraville, zone polluée par une ancienne usine ;
  • Des jeunes garçons qui disparaissent ;
  • Des jeunes garçons qui ont peur ;
  • John Morrison, un policier qui a failli à son devoir ;
  • Des maladies physiques et mentales ;
  • Un homme qui étudie les papillons ;
  • Un bibliothécaire passionné.

L’Intraville est un univers connu, mais légèrement différent, regorgeant d’étrangeté et qui célèbre la beauté des choses laides. « Il est impardonnable d’être innocent quand les garçons perdus disparaissent dans les fourrés tout autour de nous. Impardonnable de ne pas savoir où ils sont, même s’il est impossible de le savoir. […] Il est impardonnable qu’un enfant disparaisse sans laisser de traces. » (p. 278) Quant à la scintillation, c’est l’éclat fluctuant des étoiles, la lumière insuffisante d’une entité belle et inaccessible. Dans ce thriller humain, écologique et mystique, l’intrigue est faite d’éclats de vie impalpables qui, pris séparément, ne représentent rien. Mais réunis par la force de la narration, ils donnent une image clignotante et énigmatique.

Je n’ai pas vraiment compris ce récit : il glisse vers le fantastique sans y pénétrer et le mystère palpable dès l’incipit semble encore plus épais à la dernière page. Décontenancée, mais pas vraiment déçue, je suis désappointée, toutefois séduite par cette expérience étrange. J’ai failli abandonner ce livre, céder à mon incompréhension, mais en tenant bon, j’ai eu entre les mains un livre qui se lit d’une traite. Déroutant, non ? « La définition d’un ouvrage qui se lit d’une traite devait être, en réalité, que le bouquin était tellement bien qu’on ne peut pas s’arracher à sa lecture alors que la page suivante est là et qu’elle risque d’être tout aussi captivante que celle qu’on dévore. » (p. 104)

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