Roman en pastiches d’Héléna Marienské.
Huit pastiches composent ce recueil dédié aux complexes relations homme/femme. De domination, il est toujours question, mais quand les rapports de force s’inversent, il y a de quoi dégringoler de sa chaise et du septième ciel. « Le temps n’est plus où les femmes se laissaient clouer le bec. Qu’on tente de leur encombrer la bouche, elles trancheront désormais le problème. » (p. 9) D’un fait divers cannibale pour le moins horrifique, aux allures de légende urbaine, l’auteure fait le sujet de 8 textes où le pastiche côtoie l’exercice de style. Ou comment dire huit fois la même chose sans utiliser les mêmes maux…
Restriction du domaine – À la manière de Michel Houellebecq (voir une certaine Extension…) / Pierre Hitkartoff est le dernier auteur à la mode. Reconnu pour sa plume par des lectrices déchaînées, il est conscient de sa pauvreté physique. Maniaco-dépressif, taraudé de désirs inavouables, il semble trouver le bonheur et l’épanouissement auprès de Maryse, brillant professeur en khâgne mais femme vieillissante. Dévouée à son homme, elle lui ouvre toutes les portes: celles de la gloire, celles du plaisir, celles de l’accomplissement personnel. Mais au terme du récit, on s’interroge : l’homme a-t-il encore un rôle à jouer dans la procréation voire dans la sexualité des femmes ?
La Marquise Héloïse – À la manière de Gédéon Tallemant des Réaux / La petite nièce du grand Guillaume du Bartas, auteur de La Sepmaine, était aussi belle que libertine. Sa jeunesse n’étant point le gage de son innocence, elle maniait en toutes choses sa langue avec agilité, à condition de n’être forcée à rien.
Batifoles – À la manière de Louis-Ferdinand Céline / Dans une lettre à Roger Nimier, Louis-Ferdinant Céline vitupère – dans le langage qui a fait sa renommée – à l’encontre de son éditeur qui, pour agrémenter la publication de ses œuvres en Pléiade, lui demande d’écrire quelques pages lestes et croustillantes.
Le Rat glorieux – À la manière de Jean de la Fontaine / En rimes et enjambements, un rat, maître de guerre, glorieux conquérant de la quasi totalité du monde, se fait mettre à genoux par le joli minois d’une rate félonne dévouée au roi des Belettes.
La Barbe – À la manière de Christine Angot / Que Christine n’écrive que sur l’inceste, voilà qui finit par être barbant et rasoir pour son éditrice, pourtant toute acquise à l’œuvre de son auteure chérie. Mais si l’auteure chérie continue de creuser le sujet au risque de l’éculer, c’est qu’elle ne peut pardonner ni oublier le traumatisme qu’elle a subit. Elle propose une solution qui, pour être radicale, reste complexe à exécuter. Si tous les gars du monde…
Du trop de pudicité – À la manière de Michel de Montaigne / Si les oies du Capitole ont défendu Rome à grand renfort de cris et de battements d’ailes, les oies blanches nouvellement mariées défendent bien étrangement leur innocence. S’il est des enseignements dangereux pour les esprits débiles des femmes, l’auteur recommande d’instruire les filles à marier sur les choses de la chair, sur les choses du lit et sur les choses qui se situent sous la chemise.
Chupa Chups – À la manière de Vincent Ravalec / Virginie, superbe jeune fille d’une ZEP, s’enfuit de l’appartement familial où ne l’attendent qu’outrages physiques pour rejoindre Paris où elle décroche d’une main une licence en commerce international et de l’autre un solo au Crazy Horse. Sous le délicieux nom de Chupa Chups, elle devient la pute de luxe du Tout-Paris. Mais trop de drogue et trop de sexe l’envoie de plus en plus souvent dans des extases orgasmiques et terrifiantes où se jouent des massacres orgiaques sous la houlette bienveillante d’un Christ compréhensif et vénal.
Flora, ou l’Apparition – À la façon d’un mirifiant G. P. (voir une certaine Disparition…) / Bourbaki Junior et Aloysius Swann se retrouvent autour d’une table et de Flora, beauté peu farouche qu’un récit aux accents de Mille et une nuits rend très réceptive aux plaisirs de la chair.
L’auteure explique elle-même son titre: « Je le chipe à ce macho de Dali, qui définissait ainsi le cannibalisme: le degré suprême de la tendresse. » (p. 9) Elle justifie aussi le choix des pastichés: « Peu m’importait que les auteurs soient, ou non, célèbres. Il suffisait que je les aime, et avec tendresse. » (p. 10) De là à se dire qu’Héléna Marienské se plaît à couper la chique (à défaut d’autre chose) à ses chouchous littéraires, il n’y a qu’un pas. Elle les aime ses auteurs, au point de les envoyer se balader un peu partout. Un certain docteur Houellebecque traîne à la cour de Louis XIII. Céline et Perec sont cités à tour de bras par des intellectuels ou des poivrots.
Elle trouve son inspiration dans des registres et des époques littéraires très diverses. « Plutôt stimulant, l’absolu tabou, non ? » (p. 172) L’auteure s’empare de la plume de ses modèles avec brio, mais surtout autorité. C’est elle, désormais, qui porte la culotte littéraire. Si castration il y a, qu’elle soit physique (Allo Maman bobo) ou métaphorique (Allo Maman bobo, bis), elle s’effectue toujours avec humour et légèreté.
Quel plaisir de croiser ce bon vieux du Bartas qui a fait les belles heures de mon cours de littérature en khâgne! Tomber sur Houellebecq ainsi (re)manié m’a redonné le goût de me plonger dans ses œuvres. Il n’y a que les idiots, n’est-ce pas ? Chapeau bas à l’auteure pour le dernier pastiche. J’ai tenté le lipogramme dans une de mes nouvelles et j’ai écrit cinq lignes, en 3 jours…
Je me suis régalée de ce recueil de textes érotiques dont j’attendais beaucoup depuis longtemps. Voilà une lecture fort divertissante, impudique et adorablement insolente.