Beignets de tomates vertes

Roman de Fannie Flagg.

Années 1980. Evelyn Couch accompagne chaque semaine son époux Ed à la maison de retraite de Rose Terrace. Elle s’échappe toujours très vite de la chambre de sa belle-mère, Big Momma, et se réfugie dans un couloir ou une salle commune pour y grignoter avidemment toute sorte de confiseries. Elle rencontre un jour une vieille femme, Ninny Threadgoode. L’aïeule se prend rapidement d’affection pour Evelyn qui, à presque cinquante ans, est prisonnière d’une idée de femme parfaite jamais atteinte. Mrs Threadgoode raconte à Evelyn toute une existence de bonheur et de labeur à Whistle Stop, une bourgade  agglutinée autour d’une gare de triage perdue en Alabama. Véritable mémoire dotée de parole, elle fait revivre pour elle et pour son amie des personnages hauts en couleurs et touchants, telles les inséparables Idgie et Ruth qui tenaient avec une générosité sans borne le Whistle Stop Café ou encore tous les membres de la grande famille Threadgoode qui accueillait sans distinction de couleur ou de naissance les âmes de passage.

« Whistle Stop n’a jamais été qu’un bled au bord de la voie ferrée » (p. 118) mais « le Whistle Stop Café était le foyer de tous ceux qui n’en avaient pas, c’était là qu’on se retrouvait tous, c’était là qu’était la vie. » (p. 454) Les lieux perdus d’une Amérique frappée par la crise de 1929 sont le théâtre d’une vie rude, mais nimbée de grâce. L’obscur bouiboui que tiennent Idgie et Ruth, deux femmes de caractères, devient le lieu de rendez-vous incontournable d’une population qui reste digne au plus fort de la misère. Au Whistle Stop Café, tous les hobos de passage, tous les Noirs et tous les gens de couleurs de la région trouvent une assiette chaude et une porte ouverte. Le Ku Klux Klan peut venir avec ses costumes et ses torches, les propriétaires des lieux savent leur tenir tête. « Quand on pense que ces crétins sont terrifiés à l’idée de manger à côté d’un noir et qu’ils gobent des œufs crus tout droit sortis du cul d’une poule ! » (p. 72), voilà le type de discours qu’Idgie tient à ceux qui auraient le toupet de lui reprocher de vendre à des Noirs !

Le roman est construit autour de plusieurs voix narratives. Il y a la gazette de Dot Weems qui, sous couvert de média populaire, est en réalité un incessant babillage matrimonial et une déclaration d’amour sans cesse renouvelée à la « chère moitié ». D’autres journaux comblent les blancs. Le flot de paroles de Ninny Threadgoode, récit nostalgique mais sans tristesse, tient la majeure partie du récit. Il y a aussi une narration que l’on pourrait qualifier de « normale », avec un narrateur inconnu et un ton impersonnel. Ce qui fait l’originalité de ce roman, c’est qu’un même évènement commence d’un point de vue, se poursuit avec un autre et se termine sur un troisième. L’histoire n’est jamais univoque, la polyphonie révèle les mystères et entérine le réalisme: le narrateur omniscient est une chimère, la mosaïque de points de vue et le croisement des informations rétablissent la vraie connaissance autour d’un fait

Le récit ne tient pas compte des règles du temps. La narration se joue de la chronologie: une conséquence est souvent annoncée avant ses causes et les différentes voix narratives reprennent ensuite l’ordre du temps. L’intensité dramatique est au plus fort avec des annonces très prématurées de meurtre, de procès ou de disparition. Le retour dans le temps se fait sur plusieurs mois, parfois plusieurs années, mais le plus souvent sur seulement quelques jours. Le drame se désamorce toujours avec humour et bienveillance. La bêtise humaine est la grande victime des manipulations temporelles.

Idgie, de son nom complet Imogen, est un garçon manqué sans aucun complexe. Élevée au grand air dans les traces de son grand frère Buddy, charmeuse d’abeilles et petite polissonne au grand cœur, elle n’a ni la langue dans la poche ni le sang froid. Prompte à défendre ceux qu’elle aime, elle se fait justicière. Elle mène une vie de bâton de chaise avec ses amis du Club des Cornichons mais assume ses responsabilité auprès de Ruth et de son fils. À ce personnage s’oppose celui d’Evelyn. Cette dernière est coincée dans des stéréotypes et des clichés. Complexée, elle se réfugie dans la boulimie. Ce n’est qu’auprès de Mrs Threadgoode qu’elle trouve une oreille tendre et plusieurs modèles de vraies femmes à suivre. Idgie, Ruth, Ninny elle-même, sont des femmes heureuses malgré leurs malheurs, fortes et lumineuses. Evelyn trouve la force de se réveiller et se révéler à elle-même pour devenir une femme dont elle peut être fière.

Entre Idgie et Ruth, il y a plus qu’une amitié farouche et indestructible. Le roman aborde avec une immense pudeur la question de l’homosexualité féminine. Placer ce sujet dans l’Alabama de la première moitié du 20° siècle est audacieux. L’état est profondément sudiste, raciste et conservateur. Mais le sujet n’a pas vocation à choquer. L’auteure n’utilise pas les mots qui choquent, elle parle d’amitié, d’amour et de fidélité à toute épreuve, sans verser dans le sordide ni le voyeurisme. Idgie accueille Ruth après l’avoir tirée d’un ménage malheureux et violent. Devenue chef et soutien de famille, Idgie assume aussi l’enfant de Ruth et Stump devient pour tout le monde et sans cancan « le petit garçon d’Idgie et de Ruth » (p. 134)

Ce texte délicat se place dans la veine de chefs-d’œuvre comme La couleur pourpre d’Alice Walker ou Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur d’Harper Lee. J’avais beaucoup aimé le film éponyme de Jon Avnet avec Fannie Flag et Kathy Bates. Je recommande cette lecture à toutes les femmes parce qu’il y a au moins une des héroïnes de ce roman qui leur correspond.

Après mon billet sur livre, voici une recette tirée de ses pages. N’ayant pas de tomates vertes sous la main, je me suis contentée de tomates rouges ! Voici la recette telle que le livre la présente, page 474, parmi une foule d’autres délices.

  • 1 belle tomate par personne
  • sel et poivre
  • chapelure de maïs
  • saindoux

Découper les tomates en rondelles, assaisonner avec poivre et sel, puis les paner. Les faire frire de chaque côté dans le saindoux bien chaud. À mourir de plaisir!

J’ai remplacé le saindoux par de l’huile d’olive. Et je me suis régalée !

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