Peau de caniche

Roman de Dominique Zehrfuss.

« Moi aussi, je fus un chien, dans une autre vie, un caniche. Les souvenirs remontent peu à peu à la surface. Quels étranges souvenirs, et comme ils me semblent irréels aujourd’hui… Je voudrais les écrire par bribes, un peu comme on se pince pour se prouver que l’on ne rêve pas. Et comprendre pourquoi tout cela s’est passé, pourquoi j’ai endossé la peau d’un caniche, un caniche d’une époque disparue. Mais si le monde change, les caniches, eux, restent toujours les mêmes. » (p. 10)

La narratrice revient sur ses années d’enfance, sur son rôle de « caniche-cupidon » (p. 69) entre ses parents. Elle assiste à la comédie d’amour que jouent et rejouent ses parents. Adulte, elle cherche « comment raconter cette étrange enfance d’animal de compagnie. »  (p. 58) Elle a été l’enfant de l’amour mais aussi l’enfant-cocarde, celui porté haut pour prouver la réussite d’un couple au-delà des scandales. Issue du troisième mariage de sa mère, la narratrice a la tâche de justifier une union aux senteurs de souffre. « À moi, on m’a attribué un rôle que je prends très au sérieux, n’en connaissant pas d’autre… Chien savant… Je dirais même caniche savant… (Non pas chien sachant beaucoup de choses, mais chien dressé à jouer un rôle bien déterminé.) Les rares fois où je suis en compagnie de mes parents, ce n’est jamais dans une situation d’enfant, mais toujours entourée d’adultes, et jouant moi-même le rôle d’une adulte miniature. C’est là que je désapprends à être ce que je suis: une enfant. […] J’apprends à dissimuler ce que je pense et à endosser mon costume de caniche: souriante, aux aguets, silencieuse, mais prête à répondre à toutes les questions que l’on me pose… […] J’ai été le Robert Benzi, le Yehudi Menuhin, le Mozart des caniches. » (p. 29)

Entre une mère orgueilleuse et impériale et un père soumis et zélé, l’enfant échappe parfois à la touffeur de cette parodie d’amour grandiose. Confiée à une famille italienne pour quelques vacances ou en compagnie de sa demi-sœur Danielle, elle goûte quelques instants d’enfance, avant de retrouver son enfer personnel. « Dans notre trio infernal, les rôles sont curieusement distribués. À ma mère, le rôle de la divinité. Mon père et moi sommes ses adorateurs. Elle n’a pas d’autres tâches dans la vie que de se faire vénérer. Nous avons peur de réveiller son courroux dont nous connaissons les conséquences désastreuses. » (p. 83)

La narratrice rassemble des souvenirs faits de lettres, de textes, de photos et de récits entendus. Son témoignage est touchant, mais manque, à mon sens, totalement de crédibilité. Le récit est partiellement autobiographique, se nourrit et se libère des traumatismes de l’auteure. Mais cette enfance de caniche est trop bizarre, trop incongrue et trop bouffonne pour être vraiment émouvante. C’est un récit familial trop amputé, si soumis aux ellipses et à l’indicible qu’il en devient inaccessible. Aussi troublant que soit le spectacle de cette enfant qui se noie dans la religion et le whisky pour sauver la paix familiale, aussi irritante que soit la parade éhontée de cette mère indigne et de cette femme orgueilleuse, aussi pitoyable que soit la soumission béate de ce père fantoche, il manque à ce texte une émotion réaliste pour prendre corps dans l’esprit du lecteur.

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