Fleurs de Chine

Roman de Wei-Wei.

Elles s’appellent Magnolia, Pêche Parfumée, Ketmie, Chrysanthème, Gardénia, Ambrosia, Orchidée, Pivoine, Jasmin, Azalée, Camélia et Lotus. Elles sont filles de Chine et leurs histoires s’ancrent un siècle de révolutions et de bouleversements. Elles ont vécu dans leur chair tous les drames de ce pays. L’une a été vendue, l’autre violée. Une autre a été fiancée à un nourrisson, une autre a été soldat de l’Armée rouge et a participé à la Longue Marche. D’autres ont subi la prison pour des fautes inconnues et d’autres encore choisissent la liberté en montant un commerce ou en jouant en Bourse. Certaines divorcent comme on part en guerre et d’autres pleurent de ne pas avoir de frère et sœur.

Ce recueil de portraits balaie toute l’histoire de la Chine. Des bords du Fleuve Jaune, « cet éternel écoulement de boue » (p. 48) à la muraille de Chine en passant par toutes les provinces, on croise Tchang Kaishek et Mao Zedong. On tremble aux récits de la Longue Marche, « la retraite la plus catastrophique et la plus pathétique dans l’histoire de l’armée rouge. » (p. 81) et des émeutes de Tian‘anmen. La Révolution culturelle est un rêve qui prend l’eau et le communisme peine à combler les espoirs. Le dernier malheur de la Chine, mais celui qui meurtrit le plus les femmes, c’est la politique de l’enfant unique. Et les enfants eux-mêmes expriment leur désarroi devant cette loi inique, anti-démographique et qui pousse à l’égoïsme : « être des enfants uniques, être les seuls porteurs des aspirations souvent absurdes et irréalistes des parents, être les objets de tous leurs fantasmes de réussite, croyez-vous que c’est plus facile ? » (p. 414)

Les hommes sont les grands absents de ce roman polyphonique. Ils apparaissent en arrière-plan. Ils sont éphémères ou transparents. Plus souvent bourreaux que victimes, rarement amants et amis, ils constituent un groupe vaguement défini qui se tient à la lisière de tous les destins féminins. Impossible de les ignorer, mais bien difficile de les inclure dans l’univers des femmes.

De ces portraits de femmes se dégage un fil rouge. C’est Ketmie. Figure de l’auteure, elle apparaît entre les chapitres et explore une voie nouvelle, celle de l’indépendance. De voyages en rencontres, elle recueille des histoires. Grâce à elle, des vies se rejoignent, des récits se recoupent et des histoires trouvent enfin leur conclusion. Ketmie est un fil : le fil qui noue plusieurs existences, le fil qui tisse une destinée collective, le fil qui relie les différents livres de la grande histoire des filles de la Chine. Ketmie ne s’exprime pas en son nom propre. Il y a une voix qui s’adresse à elle et qui décrit ses gestes et ses voyages par une longue apostrophe à la deuxième personne du singulier. Si Ketmie est le lien, elle est aussi partie et son histoire s’inscrit dans la mosaïque des fleurs de Chine.

Finalement, toutes les femmes de Chine sont sœurs. Leur voyage est parfois un périple exténuant, mais le plus souvent, c’est un chemin intérieur, une autre longue marche vers elles-mêmes. « Je vagabonde toujours. Oui, j’aime partir. Chaque départ est un changement. Chaque voyage apporte des rencontres et des découvertes. Cela me donne à la fois une satisfaction immense et un désir permanent de recommencer. Je ne sais pas m’arrêter. Je ne veux pas m’arrêter. Et je la cherche toujours ma sœur. » (p. 50)

D’abord déconcertée par ce roman découpé comme un recueil de nouvelles, j’ai finalement pris grand plaisir à suivre les existences de ces femmes. Une phrase ou un mot renvoient au portrait précédent. Le roman est une gigantesque fresque où toutes les destinées s’inscrivent. Passé et présent se mélangent : il y aura toujours des grands-mères pour avoir vécu l’avant et des enfants pour construire l’après. La Chine est dotée de filles courageuses, belles et volontaires. Ce roman m’a beaucoup rappelé la biographie de Zhimei Zhang, Ma vie en rouge. Ici encore, l’auteure ne montre pas des révoltes vaines, mais brosse avec tendresse et respect des portraits de femmes aux caractères opiniâtres. L’épanouissement final compose un bouquet chatoyant et plein de promesses.

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