Le barbaresque

Roman d’Olivier Weber.

Miguel de Cervantès, héros de la bataille de Lépante, combat au service de « la sainte Ligue, la chrétienté unie contre les infidèles » (p. 9). « Nous voguions sur une Méditerranée de pirates, de bandits à sabres et grappins, des gens de rien, des renégats convertis, une mer en proie à tous les pillages, à la rapine du ponant à l’orient, du septentrion aux mers méridionales. » (p. 9) Le navire sur lequel Cervantès est embarqué est attaqué par des pirates barbaresques qui font prisonniers l’équipage et les emmènent en Barbarie. « Prisonniers sur le pont, nous vîmes se dessiner devant nous la route de l’exil, le chemin qui menait vers la Barbarie. » (p. 23) C’est à Alger que les prisonniers chrétiens sont débarqués. Si certains, en reniant la religion du Christ, s’assurent un avenir confortable, les captifs fidèles à la chrétienté entrent dans un commerce particulier, celui des rançons. « Les captifs sont la richesse de la Barbarie. […] Achetez-les, vendez-les, mais prenez-en soin. Certains valent plus cher que de l’or. » (p. 28) Miguel et son frère Rodrigo deviennent ainsi la propriété d’El Cojo, un bandit d’Alger, qui attend que des religieux chrétiens viennent payer la rançon des deux frères.

Alors que les premiers temps sont nourris de l’insoutenable douleur de l’exil et de la captivité, tout bascule quand Miguel rencontre Zorha, fille d’Hadji Mourad, représentant de la Porte en Barbarie. Leur amour est interdit, mais il offre à l’Espagnol et à la belle Mauresque une liberté insoupçonnée. « Ma captivité était devenue un délice, une promesse de beaux lendemains, un horizon dont je voyais les contours et que je n’avais jamais connu, les frontières d’un nouveau pays qui s’appellerait l’amour. » (p. 126) Alger devient la ville du plaisir et du bonheur et le retour au pays s’incarne en une sourde angoisse : « L’Espagne n’avait plus grande importance à mes yeux, car j’avais compris qu’il n’est pire exil que celui du cœur. » (p. 157)

Mais la Méditerranée est sillonnée et entourée d’êtres aux désirs contraires. Certains, comme Hadji Mourad, veulent établir la paix sur ses rives et dans ses eaux. Le père de Zohra charge Miguel d’une mission secrète : l’Espagnol doit tout tenter pour établir la paix entre les Chrétiens et les Mahométans. Entre son honneur et son amour, Cervantès est partagé. « Un secret est d’autant plus lourd à porter qu’il engage votre amour. Les secrets rendent le désir encore plus fou. » (p. 151) Alors qu’Alger s’ébranle au lendemain de la prise de pouvoir d’Hassan le Vénitien, Cervantès doit défendre sa vie et mener à bien sa mission en se protégeant des attaques perfides d’un vieil ennemi, l’Espagnol Sigura, à la solde de l’Inquisition. Et quand le retour en Espagne se profile, la perte de la bien-aimée est plus cruelle que n’est grande la joie de retrouver les siens. La bataille contre les moulins à vent ne fait que commencer.

Comment ne pas penser aux toiles de Delacroix en lisant le récit fictif que Cervantès fait de sa captivité en Barbarie ? Olivier Weber évoque les mêmes beautés que celles qui se dégagent des peintures de l’orientaliste. Le personnage de Zohra est une toile de maître au sein du roman. La jeune femme est une odalisque parfaite, « une bien-aimée sortie du Cantique des Cantiques, les seins offerts, les reins cambrés, la peau ambrée, les yeux ourlés de noir, comme une invitation au désir. » (p. 174) De même, la description d’Alger s’offre comme une peinture : « Alger la rebelle, l’insoumise, l’infidèle aux belles femmes, aussi traîtresses que les pirates. » (p. 24). La cité se dessine sous les traits d’une ville merveilleuse, aux frontières de l’imagination. Tout y semble possible, mais également dangereux. Cette ville a choisit ses maîtres : « Alger appartient tout d’abord aux pirates, aux renégats, aux chrétiens convertis à la religion du prophète Mahomet. » (p. 207) Cependant la ville se présente également comme un creuset culturel et religieux. Les captifs chrétiens ont leur propre cité au sein d’Alger et les Juifs sont légions entre ses murs. Certains cherchent à établir la concorde entre les trois religions du Livre, mais les intérêts politiques et stratégiques s’imposent et mettent en péril l’harmonie.

Cette autobiographie fictive est servie par une plume habile et intelligente. Les évocations amoureuses sont fines et poétiques et emplissent le texte de parfums suaves. Les intrigues politiques sont décrites avec clarté et le roman tout entier offre un éclairage simple sur une période de l’histoire de la Méditerranée et des relations entre Chrétiens et Mahométans. Olivier Weber offre ici un très beau roman d’aventure et une romance digne des histoires d’amour les plus légendaires.

Ce contenu a été publié dans Mon Alexandrie. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.