Pièce de Nassur Attoumani. Premier manuscrit de théâtre mahorais en langue française.
Contre l’avis de ses parents et surtout de son polygame de père, et bien qu’elle soit depuis toujours promise à son cousin Papa Kojo, Fatiha épouse un manchot grand-comorien au nom de l’amour. Mais les motivations d’Outsihore sont moins romantiques. Quand il s’avère qu’Outsihore ne voulait que des papiers français et qu’il entretient une autre épouse, Fatiha se fâche. Son époux la répudie et s’approprie ses biens, mais la jeune femme le traîne devant la Cour. Les Mahoraises ne sont pas de ces femmes qui se laissent faire !
Cette pièce de théâtre porte des coups de griffe un peu partout : contre le machisme, contre les mzoungous (les Blancs non mahorais dont l’attitude a des restes de colonialisme triomphant), contre la justice et ses simulacres, contre la politique et contre le progrès qui balaie les traditions. Mais la pièce n’est pas un manifeste politique, plutôt une satire humaine qui dépeint néanmoins avec fidélité la société mahoraise.
Les rapports homme/femme sont les mêmes partout : toujours ce même besoin d’un sexe de dominer l’autre. À Mayotte, en dépit d’une société qui encourage la polygamie, les femmes ne sont pas des potiches. La nouvelle génération est émancipée et perpétue les préceptes des aïeules : « Dans un foyer, toutes les grandes décisions doivent être prises par la femme et toutes les dépenses faites par le mari. C’est ça, la vraie égalité. » (p. 39)
La polygamie est une des composantes de la société mahoraise. Tradition ancestrale issue de la religion musulmane depuis toujours implantée sur l’île, la polygamie ne s’accorde pas avec les lois de la République française. « Avec la nationalité française, tu n’as pas le droit d’être polygame. » (p. 71) Or, si les Mahorais se sont battus pour être rattachés à la France, ils n’étaient pas tous disposés à s’accommoder des lois républicaines d’un pays non musulman. Mayotte oscille toujours entre tradition islamique et modernité laïque : le cœur des ses habitants, et surtout celui de ses habitantes, balance entre respect de la culture historique et développement de la société occidentalisée.
Autre sujet d’importance à Mayotte, ses relations avec les îles qui forment l’Union des Comores (Grande-Comore, Mohéli et Anjouan). Depuis son rattachement mouvementé à la France, Mayotte est devenue terre d’immigration pour tous les Grand-Comoriens, Anjouanais et Mohéliens qui veulent fuir la misère et rejoindre la France, éternelle terre d’asile. Les portes de la République française s’ouvre notamment grâce au mariage : « Épouser une Mahoraise, c’est pour un Grand-Comorien, un Mohélien ou un Anjouanais la garantie d’obtenir un passeport français, et le billet d’avion (même s’il reste à payer) vers la Réunion ou l’hexagone. » (Préface de Claude Allibert, p. 5) On ne badine pas avec l’amour, mais avec la liberté non plus…
Maniant l’humour et les références en tout genre avec habileté, Nassur Attoumani donne à entendre toute la richesse d’une culture ancestrale, entre Islam et République, entre Afrique et Occident. La pièce a connu un grand succès lors de la tournée sur l’île dans les années 1990 et elle a également été produite en métropole : ce devait être un bonheur d’entendre les femmes agonir les hommes d’injures en mahorais !