Le photographe

Une histoire vécue, photographiée et racontée par Didier Lefèvre. Écrite et dessinée par Emmanuel Guibert. Mise en page et en couleur par Frédéric Lemercier. (p. 6)

Tome 1 – Didier Lefèvre, photographe, intègre une équipe de Médecins Sans Frontières. Sous la direction de Juliette, avec Robert, Régis, John, Mahmad, Sylvie, et tant d’autres, il passe du Pakistan à l’Afghanistan. « En Afghanistan, il y a la guerre. D’un côté, l’armée d’invasion soviétique et l’armée du gouvernement communiste en poste à Kaboul, de l’autre les moudjahidin, les résistants. Au milieu, les organisations humanitaires. » (p. 10) Avec la caravane clandestine qui l’emmène dans un pays en guerre, Didier connaît un voyage très éprouvant.

Didier a toujours l’œil à portée de viseur, mais il ne voit pas le monde uniquement à travers l’objectif. Le photographe sait prendre du recul et saisir la beauté des choses. « La lumière est très franche aujourd’hui, l’air pur comme jamais. L’épuisement et les circonstances de la guerre ne viennent pas à bout d’un sentiment de joie intense. Il faut dire que ce soleil, ces montagnes, John, sac à dos, qui marche d’un pas de randonneur, ça ressemble à s’y méprendre à la paix. » (p. 52) Le passage du dessin à la photo empêche de croire à une histoire : tout est réel. Le dessin sublime la réalité, l’adoucit un peu, mais il n’est pas bon de trop s’en écarter. Ce serait comme quitter la piste : les mines ne sont pas loin.

Planches contacts, négatifs, portraits, paysages et clichés pris sur le vif se côtoient : le photographe n’a pas toujours le temps de poser son objectif ou de faire poser son modèle. Alors se substitue le dessin qui comble les vides et qui honore autrement.

Tome 2 – La caravane achève sa marche forcée dans les montagnes. Après un mois éprouvant, l’équipe MSF arrive à Zaragandara et installe son hôpital dans une maison ouverte aux quatre vents. Les malades ne tardent pas à affluer : les chirurgiens traitent les victimes de la guerre et les accidents domestiques. Leur autre mission est de former des Afghans sur place : une fois que l’équipe de Médecins Sans Frontières sera repartie, les locaux devront se soigner seuls.

En dépit de la rudesse de la mission et des piètres conditions de vie, l’équipe reste soudée. « Tu connais l’expression “Avec eux, j’irais au bout du monde”. Ben on y est. Chacun d’entre nous est en situation de faire des choses pour lesquelles il n’est pas formé. On est tous voués, à un moment ou à un autre, à endosser une grosse responsabilité. C’est ça qui nous soude. » (p. 46) Cette entente réussie dépend surtout de Juliette, chef de la mission MSF. La jeune femme fait sensation auprès des Afghans avec ses pantalons et son aplomb. « Moi, j’ai cette chance de pouvoir aller partout. En tant que chef de mission, je peux aller chez les hommes et en tant que femme, je peux aller chez les femmes. Et j’aime mieux te dire que nos rapports sont tout ce qu’il y a de naturel et de spontané. » (p. 65) Pour autant, Juliette reste humble et respectueuse des traditions et des pudeurs afghanes. Son regard éclairé est débarrassé des clichés occidentaux.

Le photographe peut désormais cadrer ses photos. Sur les planches contact, on remarque des photos marquées au rouge, celles qu’il garde et celles qu’il rejette. Ce choix s’est opéré après son retour en France, quand il a pu développer les films. Au-delà de la mission photographique, Didier découvre un pays. « En dépit de la rudesse du voyage, mais aussi grâce à elle, je suis déjà très amoureux de l’Afghanistan, très attaché. » (p. 19) Didier photographie les opérations et les blessés. Sur ses clichés apparaît une misère courageuse, profondément bouleversante. Au terme de ce second volume, il décide de rentrer seul, sans la caravane de MSF : découvrir le pays en solitaire, voilà ce qui lui manque pour faire sa propre expérience de l’Afghanistan.

Tome 3 – Didier a laissé l’équipe MSF derrière lui et il rentre au Pakistan seul, avec une petite escorte. « J’ai la sensation agréable d’être aux commandes de mon voyage. » (p. 6) Mais ce retour est lent, poussif et déprimant. « Je continue, presque malgré moi, à prendre les photos d’un reportage déjà fini. » (p. 32) Les quatre hommes chargés de l’escorter finissent par l’abandonner quelque part en bas d’un col. Seul avec son cheval, perdu en pleine montagne par des températures glaciales, Didier fait l’expérience de la solitude et de la folie. Miraculeusement ramassé par une caravane, Didier poursuit un périple éprouvant avec des escrocs qui le dépouillent lentement. Le retour au Pakistan est finalement bien loin d’être l’expérience exaltante que le photographe espérait. Mais il ne regrette rien. « Je pense au meilleur et au pire de ce que je viens de vivre en Afghanistan. Et je réalise une chose : j’ai envie d’y retourner. » (p. 94)

Cet album en solitaire présente de superbes photos en noir et blanc, en pleine page. Au terme de sa mission, Didier aura réalisé 130 pellicules. Il n’a qu’une hâte, celle de rentrer en France pour découvrir enfin ce que les films ont à révéler. Au terme de ce dernier album et en conclusion de cette expérience époustouflante, tous les participants de cette aventure ont droit à un bref portrait. C’est un bel hommage final à des médecins qui ont fait de l’abnégation leur credo, à des Afghans qui participent à leur façon au jihad et à des êtres courageux qui n’attendent pas le flash des appareils pour briller et faire rayonner la paix et la fraternité.

Ce récit de voyage en trois volumes est une belle réussite artistique, entre photographie et bande dessinée. C’est également l’illustration d’une charité qui dépasse les frontières, les religions et les guerres. Il ne s’agit pas de lisser les différences, mais de les honorer pour mieux les respecter. De l’objectif à la plume, l’hommage est courageux et émouvant.

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