Pauline Manford a la cinquante très active, voire survoltée. Pour tenir le rythme des journées effrénées qu’elle s’impose, entre œuvres de charité, réceptions mondaines et obligations familiales, elle a souvent recours à des guérisseurs et autres gourous pour trouver la paix de l’âme et du corps. Divorcée d’Arthur Wyant dont elle est restée proche et avec qui elle a eu un fils, Jim, elle a épousé en seconde noces l’avocat Dexter Manford. De cette union est née Nona, jeune femme qui regarde avec un peu de mépris la folle existence de sa mère. « Elle admirait le zèle de sa mère, tout en se demandant parfois s’il n’était pas un peu frivole. » (p. 9) Jim, est mariée à la belle et futile Lita : la jeune femme ne veut rien d’autre que danser et lire l’admiration dans les yeux de tous. Et voilà qu’elle laisse entendre qu’elle pense divorcer. Convaincue que cette séparation anéantirait son fils, Pauline décide de prendre les choses en main et d’emmener tout le monde dans la villégiature familiale pour apaiser les esprits.
De fait, Pauline est incapable de rester inactive et la perspective d’une heure d’oisiveté la plonge dans des abîmes d’angoisse. « Elle enviait les femmes qui n’avaient pas le sens des responsabilités. […] Car, en ce qui la concernait, le sort du monde – le seul qu’elle connaissait –, reposait sur ses épaules. » (p. 26) Elle aime par-dessus tout se sentir utile, voire indispensable. « Ah, comme elle aimait les gens qui lui disaient : « Si vous n’aviez pas été là… » ! » (p. 22) Pauline est clairement ce qu’on appelle une control freak, une obsédée du contrôle : elle est convaincue de ses qualités d’organisatrice et même si elle brasse beaucoup d’air, elle reste intimement pénétrée de son importance. De son côté, son époux est fatigué de cette vie sans repos et vide de sens. « Sa journée avait été ce qui étaient désormais toutes ses journées : un départ avec un sentiment d’urgence, d’importance et d’autorité, et une arrivée avec une impression de futilité, de faisandé. » (p. 51) Le ver est dans le fruit : est-il si étonnant que Dexter soit tellement fasciné par Lita puisque sa femme fait si peu cas de lui ? Et comment douter que toute cette histoire finira par un drame ?
À cela s’ajoute les délicates relations de Pauline avec un parent pauvre et envahissant et les amours malheureuses de Nona avec un homme marié. « On découvrait maintenant que la reconnaissance pouvait prendre des formes plus importantes que l’ingratitude. » (p. 227) Mais voyez la perversité du raisonnement : Pauline se gargarise de sa propre charité et fait mine de détester les importuns qui remercient trop fort, mais elle détesterait qu’on ne fasse pas état de sa générosité. Pauvre femme riche…
Quelle étrange expérience de lecture. J’avais découvert ce roman au début des années 2000 et je l’avais vraiment apprécié. Il ne m’en restait qu’un souvenir vague et je pensais retrouver le même plaisir avec cette relecture. Il n’en est rien : les personnages m’ont agacée et la frénésie à laquelle se livre Pauline Manford est tout à fait détestable. Aucun doute, il faut être riche, très riche, pour mener une telle existence. Lita, présentée comme futile, a au moins l’honnêteté de ne pas s’encombrer de responsabilités dont personne n’attend qu’elle les assume. Égoïste, peut-être, mais pas intrusive, au contraire de Pauline qui a fait de l’ingérence un art qui me l’a rendue odieuse.
Dernier point, je ne comprends pas le titre original Twilight Sleep, mais le titre français n’est pas vraiment plus éloquent. Il laisse à penser que Pauline, Nona et Lita incarnent les différentes facettes de la femme new-yorkaise. Mouais, pas convaincue ! D’Edith Wharton, j’ai préféré, et de loin, Chez les heureux du monde.