Chanson des mal-aimants

Roman de Sylvie Germain.

Née sous une pluie d’étoiles, Laudes-Marie Neigedaoût est albinos. Immédiatement abandonnée par sa mère dans un cageot de framboises, l’enfant portera toute sa vie un âpre ressentiment envers ceux qui n’ont pas voulu d’elle. « Mes parents n’étaient ni des héros ni des martyrs de la dernière guerre, pas même des gens ordinaires morts sous un bombardement. Juste deux renégats qui m’avait légué le tourment de leur anonymat pour tout héritage, et une inaltérable blancheur de sac de farine en prime » (p. 35) D’abord recueillie par un couvent, Laudes-Marie finit la guerre cachée dans une maison en montagne, avec d’autres enfants. Mais partout où elle passe, elle ne laisse que mort et désolation, comme si sa présence avait le pouvoir d’éteindre les existences. « J’avais juste dix ans et j’étais orpheline à répétition. » (p. 41) Rien de surprenant à ce qu’elle développe un goût prononcé pour la solitude et le silence. L’enfant amère et avide de mots grandit dans un dénuement presque total d’affectation et n’a de cesse de ruminer sa haine/amour pour ses parents déserteurs, rêvant pourtant de prendre son envol et de goûter au bonheur. « Même les ailes imaginaires ont besoin d’être soignées, lustrées, développées. Surtout les ailes imaginaires. Sinon on finit comme Antonin, des galets amassés dans les poches, des éboulis au fond du cœur, et vlan ! on se jette dans le gave. » (p. 46)

Adulte, Laudes-Marie entre comme domestique dans des maisons particulières et dans des hôtels. Elle ne reste jamais longtemps en place, poussée par un besoin d’avancer. « Je n’étais qu’une passante poudrée à frimas, filant au ras des murs, au ras des jours, tellement insignifiante aux yeux des gens qu’il me semblait parfois ne même pas projeter d’ombre. » (p. 130) Dans sa grande solitude laborieuse, Laudes-Marie voit tout, entend tout et noue des liens avec des personnes disparues. « J’avais le chic pour me lier d’amitié avec des voix, des sourires et des larmes de femmes défuntes. Comme quoi la mort n’empêche rien. Enfin, pas tout. » (p. 154) Il faut dire que Laudes-Marie ne semble pas vraiment de ce monde et il ne s’agit pas seulement de la couleur de sa peau. Quelque chose en elle semble impalpable, inatteignable.

De 1939 à 2000, Laudes-Marie fait le récit de sa vie. Narratrice impartiale, sans état d’âme, elle montre le beau et le laid de son existence, les flots de sang, les pertes et les douleurs. Le récit a des airs d’élégie et de chant funèbre, comme si cette fille albinos était morte à elle-même depuis bien longtemps en raison d’un manque d’amour ou parce qu’elle a reçu et donné des sentiments trop imparfaits. Ce roman est très beau, mais j’en ai largement préféré d’autres de Sylvie Germain, comme Le livre des nuits ou Jours de colère. En fait, je préfère quand cette auteure présente les destins croisés des membres de familles monstrueuses : les récits centrés sur des individus uniques m’ennuient un peu, comme ce fut le cas de Magnus ou de Nuit-d’Ambre qui restent toutefois de très beaux textes.

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