Maurice Ghuilon poursuit un objectif obsédant : sauver de la disparition et de l’oubli les langues menacées. « Il était devenu chasseur de langage, idiomes singuliers, langues perdues ou en voie de disparition. Les langues l’intéressaient plus que les espèces. » (p. 21) Sa quête s’accompagne de la recherche incessante d’Élisabeth Wehland, une femme insaisissable dont il veut faire le personnage principal de son roman. Aidé par Françoise Grandterre, Maurice constate que le langage courant est malade : c’est une lèpre des livres qui se répand. « Les langues, comme les êtres, ont donc des maladies, une vieillesse, un déclin. » (p. 41) Les mots s’effacent des dictionnaires et les verbes perdent certains de leurs modes. « Comment désormais énoncer : ‘Être ou ne pas être ?’ faute d’infinitif ? La plus célèbre interrogation de la scène s’abolissait ainsi, et, avec elle, tout le théâtre. » (p. 27)
Maurice est incapable de vivre dans le monde actuel, lui qui trouve « que les voix disparues avaient un écho plus profond, peut-être, que les voix entendues. » (p. 19) Obsédé par les hapax et les mots disparus, il veut créer sa propre langue, langage exhumé du passé. « Maurice mourait successivement avec chaque langue disparue, renaissait avec chaque langue retrouvée. » (p. 98) Hélas, s’il est le seul à maîtriser ce langage fait de bric et de broc, cette langue nouvelle est également vouée à disparaître puisqu’elle n’est pas partagée. Le serpent se mord ainsi la queue et la disparition du langage va de pair avec la décadence effrénée du monde.
Jean de Palacio, dont j’ai déjà apprécié l’érudition dans son essai Figures et formes de la décadence, signe un court roman teinté de fantastique. Entre jeux de mots et réflexion sur le langage, il travaille la page pour la faire coïncider avec son propos, comme dans un calligramme privé de ses mots. J’ai vraiment aimé ce roman, sauf – et c’est un problème ! – le premier et les deux derniers chapitres qui renvoient directement au titre puisqu’il est question d’un énigmatique portrait d’homme qui fascine son acquéreuse. J’ai été incapable de faire le rapprochement entre ces chapitres et le reste du roman. Dommage !