Dites aux loups que je suis chez moi

Roman de Carol Rifka Brunt.

Dans les années 1980, June est une toute jeune adolescente quand son oncle Finn décède, emporté par cette maladie encore inconnue, le SIDA. Ce qui lui reste de cet homme qu’elle aimait tant, c’est un tableau d’elle et de sa sœur Greta. Et des souvenirs qui sont surtout douloureux parce qu’ils ne seront jamais suivis de nouveaux souvenirs. Convaincue que sa sœur la déteste et délaissée par ses parents qui travaillent beaucoup, June s’isole dans sa mémoire et dans la forêt qui s’étend derrière le lycée. Elle se rapproche cependant de Toby, le petit ami de Finn. « Je savais que Toby était une mine d’anecdotes. Il possédait des petits morceaux de Finn que je n’avais jamais vus. […] Si l’on considère qu’une anecdote peut être comme un genre de ciment, celui qui ressemble à un glaçage de gâteau pas encore durci, alors je me disais que je pourrais utiliser les histoires de Toby pour maintenir Finn en place, pour le garder avec moi un peu plus longtemps. » (p. 110) Elle garde cette relation secrète et dissimule ses trésors au fond de son armoire : dans l’obscurité, ils n’ont que plus de valeur, mais ils deviennent aussi des monstres, des loups hurlants qui ne demandent qu’à déchirer à pleines dents les tendres sentiments d’une jeune fille. Entre naïveté et révélation, June et Greta, jetées hors de l’enfance, mais pas encore arrivées aux portes de l’âge adulte, apprennent l’amour, la solitude, la dissimulation et la grande complexité des sentiments.

Quel magnifique premier roman ! Il est empreint d’une violence délicate, presque ciselée, à l’image des émotions qui bouleversent les adolescents. Les loups qui courent dans ce récit sont la solitude, le chagrin, le deuil. Sont-ils tous effrayants ? Ce n’est pas certain. L’auteure décrit à merveille les relations difficiles entre sœurs, à un âge où l’individualité le dispute au besoin de compagnie. « Avec Greta, il faut chercher les gentilles choses enfouies sous le reste de ses méchancetés. » (p. 76) Et le SIDA est présenté avec son aura de mystère sordide et les croyances qu’il véhicule : peut-on l’attraper avec un baiser ? Peut-être. Personne ne sait vraiment. Et June, terrifiée par cette maladie à demi-mot qui lui a volé son oncle, mais encore plus enragée contre Toby, l’homme qui l’a rendu malade, doit composer avec le souvenir de Finn et la réalité de cet homme qu’elle ne connaissait pas complètement. « Je n’étais pas seulement triste parce que je ne faisais pas partie du monde de Toby et de Finn, mais parce qu’il y avait aussi des choses que j’aimais de Finn qui ne venait pas du tout de lui. » (p. 205)

J’ai lu ce roman lentement et intensément. Je vais en garder un souvenir durable et profond. Le style de Carol Rifka Brunt est intéressant, peut-être encore un peu balbutiant, mais elle a une plume qui, j’espère, va se consolider et porter une belle voix de la littérature de demain.

Ce contenu a été publié dans Mon Alexandrie. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.