Le mystère de Jean l’Oiseleur

Manuscrit de Jean Cocteau.

En 1924, terrassé par la mort de Raymond Radiguet, son jeune amant, Jean Cocteau s’installe à Villefranche-sur-Mer et s’enferme dans une chambre. Entre désespoir et solitude, envolées lyriques et opium, seul face à lui-même et à son miroir, il dessine 31 autoportraits agrémentés de réflexions sur l’art, la beauté, la drogue et la vie. Ratures et bavures parsèment les pages, mais ne nous y trompons pas : si le texte est un manuscrit, ce n’est pas un brouillon. C’est plutôt l’expression complète d’un homme qui évacue sa douleur grâce au pinceau et à la plume.

31 fois, le visage pointu et sans ombre de l’artiste en deuil se fixe sur la page pour mieux fixer les âges. Du croquis à peine esquissé au portrait presque surréaliste, rehaussé de symboles et de couleurs, Jean Cocteau se fait chair à dessin et matière à création. Dans cette obsession répétitive de poser son image, l’artiste cherche à se prouver qu’il est toujours là, sans l’accepter, maudissant la mort qui emporte ses proches. Saisi sous les angles, le regard hypnotique, parfois sans pupille, ne cille jamais. L’artiste s’observe physiquement pour sonder son âme et comprendre ses douleurs et des doutes. Le jeu avec l’espace de la page donne parfois le tournis quand il faut renverser la tête ou le livre pour déchiffrer l’aphorisme, voire le retourner face à un miroir pour pouvoir le lire, comme si, à l’instar de l’écrivain autobiographe, nous ne pouvions saisir le sens des choses que dans leur reflet.

Quid du mystère de l’oiseleur ? Est-il résolu ou ne serait-ce que circonscrit ? À chacun sa lecture. Comme un oiseleur qui se livre à un art délicat et cruel, Jean Cocteau attrape sa fugace image et tente d’y lire des auspices inexistants. Reste ce manuscrit, toujours aussi intrigant et terriblement bouleversant, à la fois objet d’art, de désir et douleur.

130 exemplaires de ce manuscrit ont été publiés en 1925. Depuis, plus rien, aucune réédition de ce joyau surréaliste. Les éditions des Saints-Pères offrent enfin une nouvelle vie et un nouvel écrin à ce très bel ouvrage. Dans un coffret toilé, vous trouverez deux livres également toilés du même bleu envoûtant et ornés d’argent. Le premier est la reproduction intégrale du manuscrit, avec les autoportraits de l’auteur et les textes de sa main, avec son écriture à nulle autre pareille. Dans le second volume, bilingue français-anglais, les textes sont tapuscrits pour plus de lisibilité et accompagnés d’analyses des portraits et des aphorismes de l’auteur. C’est un doublet très réussi et un magnifique coffret à offrir ou à se faire offrir.

Je termine avec quelques aphorismes tirés de ce manuscrit.

« Je sais mieux que personne le ridicule auquel on s’expose en s’asseyant entre un miroir et une sténographe. »

« J’habite la mort. Elle cherche les autres dans leurs maisons. Elle me prendra dans la sienne. »

« Voit tout entend tout nul ne s’en doute »

« La mer et le rêve se ressemblent. Les plantes que l’on ôte de l’une et les phrases que l’on retire de l’autre perdent immédiatement leur beauté. »

« Mon Antigone, c’est une photographie de l’Acropole prise d’un aéroplane. »

« Tous mes amis sont morts. Mes amis où êtes-vous ? Comment vient-on ? Pitié ! Tenez-moi une main d’ombre. »

« Ronsard, Mozart, Uccello, Saint-Just, Radiguet, mes amis étoilés, j’aspire à vous rejoindre. »

Ce contenu a été publié dans Mon Alexandrie, avec comme mot(s)-clé(s) . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.