John est un professeur anglais en villégiature en France. Il est profondément solitaire, malheureux et il cherche un sens à sa vie. Le très français comte Jean de Gué lui ressemble traits pour traits et voudrait aussi échapper à son existence au sein d’une famille trop pesante. Le noble voit une occasion de changer de vie et après avoir drogué John et échangé toutes leurs possessions, il disparaît. « Vous savez, […], ça m’amuse énormément de me servir des affaires des autres. C’est un des grands plaisirs de l’existence. » (p. 27) L’anglais se retrouve contraint de prendre la place de Jean, persuadé que la mascarade ne durera pas. Mais il n’y a que les chiens du château qui ne se laissent pas abuser : pour les de Gué, John est Jean, sans aucun doute. « Mon image m’apparut dans la glace, modifiée de façon indéfinissable. Ma propre personne s’était dissoute. » (p. 43) John se trouve alors aux prises avec une famille pleine de rancœurs, de secrets et de problèmes financiers. Personne n’y est heureux. Mais John, face à l’illusion d’avoir trouvé une famille, essaye de sauver ce qui peut l’être. Il ne se doute pas de ce qu’il va mettre au jour et de l’issue tragique de cet échange d’identité. « Jean de Gué avait mal agi. Il avait fui, il esquivait les sentiments qu’il avait lui-même provoqués. » (p. 105)
Pour avoir lu de nombreux romans de Daphné du Maurier, je déplore une production très inégale. Cette sinistre variation du conte Le prince et le pauvre est clairement un des plus mauvais textes que j’ai lus de cette auteure. Le style est très daté, pesant et sans finesse. Le roman est trop long et il y a trop de personnages dans la triste famille de Gué. Mais le plus gros problème est la crédibilité de cette histoire : être le sosie d’un inconnu, passe encore, mais je refuse de croire que John a la même voix que Jean, sans accent anglais quand il parle français. Ce simple détail, qui peut sembler dérisoire, m’empêche de croire à cette histoire. Par ailleurs, je ne comprends pas pourquoi John reste dans cette famille. Certes, il n’était pas heureux et très seul dans son ancienne vie, mais il n’est pas davantage épanoui dans cette existence usurpée où il ne cesse de tromper et de blesser les autres. « J’aspirais à cette chose impossible : être l’un d’entre eux, élevé, instruit parmi eux, uni à eux par des liens de famille et de sang qu’ils reconnaîtraient, qu’ils comprendraient de façon à pouvoir vivre au milieu d’eux en partageant leurs rires, en ressentant leurs peines, en mangeant un pain qui ne serait plus un pain de l’étranger, mais le mien et le leur. » (p. 13) Si Jean est odieux d’avoir abandonné sa famille, John est tout à fait antipathique et pathétique parce qu’il se prête à cette farce terrible. Le complexe du sauveur, ça se soigne ! « S’il avait vraiment l’intention de s’en aller en faisant de moi son bouc émissaire, cela prouvait clairement qu’il ne se souciait de personne au château. » (p. 82) Enfin, il y a une vieille histoire de règlement de comptes sur fond d’armistice qui est trop diffuse et artificielle, comme ajoutée au forceps dans le récit pour ajouter un pan encore plus sombre à une intrigue déjà suffisamment pesante. Quant à la fin, elle est terriblement décevante et la tension accumulée au fil du récit, seul véritable intérêt de ce mauvais roman, retombe comme un soufflet. J’ai peine à croire que ce texte a été écrit par celle qui m’a régalée avec L’auberge de la Jamaïque ou avec Rebecca.