Juvenilia

Nouvelles de Jane Austen.

Dans Amour et amitié, on suit les rocambolesques aventures de Laura : son mariage, son veuvage, la perte de ses parents, de ses amis, de sa fortune. « Je peux, sans être interrompue par des visites inopportunes, me complaire dans la solitude mélancolique de mes incessantes lamentations après la mort de mon père, de ma mère, de mon mari et de mon amie. » (p. 58) Tout cela vous semble tragique ? Ça le serait sous une autre plume que celle de Jane Austen. Ici, Laura et ses amies ne font que s’évanouir à la moindre émotion, positive ou négative. Et c’est absolument hilarant. « Méfiez-vous des malaises… même si sur le moment, ils semblent rafraîchissants et plaisants, à la fin, croyez-moi, si trop souvent répétés à des saisons inappropriées, ils s’avéreront destructeurs pour votre constitution. » (p. 49)

Dans Les trois sœurs, Mary ne sait si elle doit répondre favorable à la demande en mariage de Mr Watts. « C’est un homme d’un âge avancé, environ trente-deux ans, et très laid, tant et si bien que je ne peux souffrir de poser mon regard sur lui. Il est extrêmement désagréable et je le déteste plus que quiconque. Sa fortune est immense et j’hériterais ainsi d’une rente considérable ; mais il faut savoir qu’il est en excellente santé. » (p. 65 & 66) Ce serait pourtant tellement délicieux d’être la première mariée, avant ses sœurs et les filles Dutton. Alors, s’il faut s’accommoder d’un époux détestable, soit. Mais à l’unique condition qu’il accepte de changer la couleur de sa voiture !

Dans Jack et Alice, il y a un jeune homme trop imbu de ses qualités, une femme qui s’adonne trop à la boisson, une veuve contradictoire, une ambitieuse, une coquette et une innocente amoureuse. « Je n’attends rien de plus de mon épouse que ce qu’elle trouvera en moi – la perfection. » (p. 117 & 118) À l’occasion d’un séjour à Bath, les tensions accumulées explosent : les innocents trinquent, mais les vilains n’obtiennent que ce qu’ils méritent.

Il y a dans ces textes de jeunesse tout le potentiel des autres œuvres de l’auteure. Elle y aiguisait déjà son talent pour les portraits courts et incisifs de personnages que l’on adore mépriser. Et elle savait déjà dépeindre la campagne et la société anglaise comme personne. Je pense qu’il n’est pas faux de prétendre que Jane Austen a inventé le concept de drama queen : d’évanouissements en égos démesurés, ses personnages féminins sont des modèles du genre, et c’est tout à fait délicieux !

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