Transport

Roman d’Yves Flank.

Un wagon plein d’hommes et de femmes. Un enfant isolé. Un narrateur qui raconte tout ce qu’il voit. Une femme rousse qui évoque le puissant souvenir de son amant. Un homme brun qui n’a jamais porté l’étoile. Des plaintes en yiddish. Des injures en allemand. Des odeurs atroces. Des cadavres. Un voyage vers l’oubli. « Je sais maintenant qu’on ne reviendra pas, il faudrait un miracle pour retourner là-bas, se réveiller du cauchemar, l’indicible se rapproche, nous avons été projetés dans un autre monde, fait de nuit de soif et de froid, on ne saura plus rien de nous. » (p. 24 & 25)

Le chant d’amour de la femme rousse est bouleversant. Il capte des bribes de la tragédie environnante et n’en devient que plus puissant. « Sors-moi de cet enfer, aide-moi, souviens-toi, mon amour. » (p. 44) La frénésie sensuelle qui s’empare de sa mémoire se heurte à l’abjection qui roule vers l’Allemagne. Le souvenir de la jouissance est désespéré. La polysémie du titre est troublante : transport vers la mort et transport amoureux. La rencontre d’Éros et Thanatos est un combat de titans. « Mon amour, mon amour, je t’aimerai dans les retraites secrètes où te conduiront la haine et la désillusion, l’injustice, l’ignorance, je t’aimerai dans la tourbe, la boue, le sang, la vermine, la pestilence. » (p. 87) Dans ce cantique d’amour délirant de sensualité et de terreur, il y a la certitude de la disparition et de l’inéluctable. Avec eux viennent les regrets et naissent des rêves qui ne fleuriront jamais.

J’ai lu des dizaines de textes sur la Shoah, écrits par des survivants, des descendants ou des artistes. Transport est une merveille du genre, si tant est que l’on puisse se réjouir de la constitution d’un genre pour cette littérature née de la destruction et de l’urgence. Il n’y a pas d’accusation, pas de dénonciation, juste la capture sur le vif d’une humanité en souffrance et en mouvement vers nulle part. Son désespoir et son anéantissement donnent la mesure de ce qui attend l’homme. « Qu’allaient-ils faire de nous ? Qu’allaient-ils faire d’eux ? » (p 104) Le premier roman d’Yves Flank se lit dans un souffle suspendu, retenu, bloqué. Parce qu’expirer, c’est déjà lâcher la main de ceux qui sont montés dans ce wagon.

Si vous êtes sensible à cette littérature et à cette tranche d’histoire, je vous recommande l’époustouflant À pas aveugles de par le monde de Leïb Rochman.

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