La petite Bliss Rampike n’a que 6 ans quand elle est retrouvée assassinée dans le sous-sol de sa maison. Qui s’en est pris à cette minuscule star des patinoires, connue dans le pays tout entier pour son talent sur la glace ? Il y avait trop d’admirateurs autour de la fillette. Il y a eu trop d’aveux, trop d’indices, trop de sources anonymes, trop d’incertitude. Neuf ans après le drame, Skyler écrit sur la mort de sa sœur, les années qui ont précédé, les jours qui se sont précipités avant la tragédie, l’odieuse couverture médiatique et la vie après tout ça. Alors qu’il n’avait que 9 ans, le garçon a été soupçonné d’avoir tué sa sœur, par jalousie et par rancœur. Il a toujours clamé qu’il n’y était pour rien et le répète dans son texte. « Faites-moi confiance ! Je jure de ne dire que la vérité telle que je l’ai vécue. » (p. 25) Pourtant, tout porte à croire que Skyler n’est pas digne de confiance : drogué, malade, instable, le jeune homme a bien mal abordé le virage de l’adolescence après l’horreur qui a ébranlé sa famille. De souvenirs mêlés en chronologie malmenée, Skyler tente de rassembler des faits qui expliqueraient – peut-être – pourquoi Bliss a été assassinée. Il nous fait entrer dans l’intimité malsaine de la famille Rampike où le père est un géant adoré et craint et où la mère est aussi frustrée qu’angoissée. Betsey est obsédée par la réussite de ses enfants et par la reconnaissance sociale : elle est prête à tout pour être acceptée dans la bonne société de Fair Hills, et Bliss est le tremplin parfait pour cela. « Populaire ! En Amérique, y a-t-il autre chose qui compte ? » (p. 193) Chaque évènement que raconte Skyler fissure un peu plus le portrait de famille qui se racornit jusqu’à devenir un petit bout de charbon malodorant.
Le lecteur sait le drame avant même d’ouvrir le roman puisque la quatrième de couverture l’annonce sans ambages et que l’intrigue est plus ou moins inspirée de faits réels. Le récit de Skyler nous fait tourner autour de l’assassinat, aller à rebours de cette mort atroce et anticiper la suite. « De ce jour, et pour toujours, ils vécurent tous horriblement et eurent beaucoup de tourments. » (p. 373) Dans ce conte de fées qui tourne au cauchemar, il faut être très attentif aux notes de bas de page dans lesquels Skyler se livre et se raconte sans masque, se voyant lui-même comme une note de bas de page dans l’histoire des Rampike. Ces annotations symbolisent la détresse d’un petit garçon qui a vite compris qu’il était le moins aimé des deux enfants de la famille. Alors, c’est certain, Skyler était délaissé et jaloux, mais surtout profondément malheureux. Et il a porté cette peine pendant des années, car comment vivre encore quand l’enfant chérie n’est plus ? À force de ressassements, de ruminations et de pardons, Skyler saura-t-il laisser tout cela derrière lui ? « Ta sœur est morte. Tu es vivant. Et alors, ensuite ? » (p. 646) Une fois encore, Joyce Carol Oates dresse un portait amer de la famille américaine moyenne et de la société des médias. Elle lance quelques coups de griffe bien acérés contre le business des enfants stars et contre le sacrosaint modèle du self-made-man à qui tout réussit. Ce long roman fend le cœur à plusieurs reprises et interroge habilement les relations au sein d’une fratrie. Chanceuse que je suis d’avoir grandie avec des frangins et des frangines à l’écoute, généreux et heureux !