Murène

Roman de Valentine Goby.

En 1956, François a 22 ans et un monde de possibilités devant lui. Ce monde s’effondre quand François perd ses deux bras après un accident. Amputé au niveau des épaules. Et sa mémoire aussi est amputée : il oublie Nine, sa fiancée. « Ce ne sera pas une souffrance, l’amnésie sauve du venin de la perte. Mais un gâchis abominable. Le monde est lourd d’infimes apocalypses, et qui sait ce que pèse, dans les mélancolies sans nom qui parfois nous assaillent, tant de magie vaincue. » (p. 20) Brûlé sur 30 % du corps, il souffre le martyre pendant la cicatrisation, puis pendant la rééducation. Il lui faut réintégrer son corps, le reposséder, calmer les douleurs fantômes, apprivoiser l’appareillage fait sur mesure. « Ils sont nombreux, les mutilés hauts qui ont cru apprivoiser seuls un appareil, in fine l’abandonnent. François l’ignore. Comment le devinerait-il alors qu’on le laisse partir, son armure sur le dos, avec ce simple avertissement : ce ne sera pas facile. Il croit que vouloir suffit. » (p. 189) De découragements en sursauts, François apprend à ne plus se battre contre lui-même, mais pour lui-même. Son salut, il le trouve dans la natation et les balbutiements du Handisport. Parce que devant l’homme diminué s’ouvre un nouveau monde de possibilités. « Vous n’êtes pas qu’un handicapé. […] Mais vous êtes ça aussi. » (p. 253)

Au diable les leçons de vie et autres poncifs sur les exploits des personnes handicapées. Oui, c’est difficile de vivre sans ses bras. Oui, c’est contraignant de dépendre des autres. Oui, ça demande de l’inventivité. « Ça bouffe son temps et deux mille calories par jour facile, l’énorme effort imposé au corps pour se passer d’aider extérieure. » (p. 204) Mais comme le revendique François, il s’agit surtout d’exister sans avoir à se cacher ni à faire semblant d’être normal. Il ne s’agit pas seulement de vivre avec – puisqu’il faut vivre sans –, mais de vivre, tout simplement. Comme dans Un paquebot dans les arbres, Valentine Boby excelle à faire parler les corps cabossés, les santés vacillantes et les âmes endommagées, pour en tirer une matière sublimée. « Je veux être comme le tulle, entier avec mes ajours. » (p. 235) Si j’ai essuyé une larme devant ce récit et grâce à la plume précise et délicate de l’autrice ? Comptez-en plus deux.

Lu dans le cadre du prix Sport Scriptum.

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