Margot Sharpe a bâti sa carrière et sa réputation de scientifique en neuroscience grâce au projet E. H. Ces initiales sont celles d’Elihu Hoopes, frappé par une encéphalite à 37 ans, et qui ne peut plus former de nouveaux souvenirs depuis cette infection cérébrale. « Elihu Hoopes est prisonnier d’un présent perpétuel […]. Comme un homme tournant en rond dans des bois crépusculaires : un homme sans ombre. » (p. 20) Pendant plus de 30 ans, Margot étudie le patient, le soumet à des tests. Et surtout, en secret, elle l’aime : mais comment être aimée en retour d’une personne qui vous oublie toutes les 70 secondes ? Entièrement dédiée à son travail et à son sujet d’étude, la très secrète Margot Sharpe franchit plus d’une fois les lignes, malmenant l’éthique et les lois. « Elle sera fidèle à Elihu Hoopes. Même si personne, Elihu compris, ne le saura. » (p. 164)
Dérangeant, comme le sont souvent les textes de l’autrice, L’homme sans ombre interroge l’amour avec un nouveau prisme, celui du souvenir. « Margot comprend le malaise de ce pauvre homme, qui se rend compte que sa conscience de lui-même ne peut lui venir que des autres, de parfaits inconnus. » (p. 25) Ici, ce sont deux solitudes qui se heurtent, sans possibilité de se répondre. Le roman dénonce aussi la cruauté froide de la recherche qui, au travers de dispositifs quasi inhumains, tente de comprendre ce qui fait l’humanité. Voilà un roman prenant et bouleversant, qui renvoie le lecteur à sa condition si fragile.