Grand Canyon

Roman de Vita Sackville-West.

« J’expose ici les conséquences dramatiques que pourrait avoir une conclusion incomplète de la guerre, voire la signature par les Alliés d’un traité de paix avec une Allemagne invaincue. » (p. 17) Ainsi s’exprime l’autrice dans la note liminaire à cette dystopie écrite en 1942. Les protagonistes sont les résidents d’un hôtel luxueux sis aux abords du grand canyon, en Arizona. La première partie se déroule entre une après-midi et une soirée. Les convives se préparent pour le dîner et le bal. Tout est feutré, calme, les discussions sont mesurées. Les jeunes Américains, demoiselles et aviateurs, se mêlent aux Européens, plus graves, qui ont fui leur continent après la victoire d’Hitler. « Les Américains ne grandissent jamais : ils restent bloqués à l’adolescence. […] Ils font semblant d’être adultes, mais il leur faudrait des siècles avant de l’être autant que les Européens. Ils ne sont usés ni par la guerre ni par le temps ; c’est ce qui fait toute la différence. » (p. 52) Mais voilà, la paix négociée entre Roosevelt et Hitler ne tient plus et un déluge de bombes s’abat sur le Nouveau Continent. Pour les résidents de l’hôtel, le seul repli possible se trouve au fond du grand canyon.

Alors plongée dans le conflit et sans pouvoir anticiper la fin de ce dernier, Vita Sackville-West comprend qu’une terrible menace ne disparaît pas d’elle-même et qu’il faut la combattre jusqu’au bout, ne pas lui laisser la moindre chance de pouvoir se répandre. « On disait que l’Allemagne n’oserait jamais attaquer l’Amérique. Que l’Allemagne se satisferait de la conquête de l’Europe. » (p. 116) La première partie du roman m’a rappelé Mrs Dalloway de Virginia Woolf – et c’est d’autant plus pertinent quand on sait la relation des deux autrices – par son caractère lent, presque suspendu à chaque mouvement des aiguilles de l’horloge. La deuxième partie m’a moins convaincue : le récit se précipite et condense plusieurs semaines en peu de pages. Et j’avoue ne pas avoir compris la nature des miracles qui se produisent au fond du canyon. J’ai toutefois beaucoup apprécié la manière dont l’autrice effectue des sauts élégants d’un point de vue à un autre, d’une conscience à l’autre, pour donner à son texte une ampleur polyphonique, où chaque personnage regarde ses comparses d’un œil plus ou moins avisé. Grand Canyon est la première dystopie écrite sur la Seconde Guerre mondiale, et elle est d’autant plus remarquable qu’elle l’a été afin la fin du conflit. La réflexion de l’autrice reste férocement moderne et rappelle qu’il est impossible – et qu’il ne faut pas – discuter avec les extrêmes.

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