Thomas Manning (voici un patronyme que ne renierait pas l’auteur de Mort à Venise) a rencontré Zoé à Venise, il y a plus de 20 ans. Il n’a jamais oublié cette jeune femme si particulière et aimerait revivre à l’identique leur soirée idyllique. Des années plus tard, de retour dans la ville lacustre à l’occasion de la Fiesta del Redentore, il trouve l’image de Zoé partout jusqu’à ce qu’il aperçoive une blonde qui file sur un vaporetto. « Pourquoi suis-je incapable d’empêcher les filles qui me plaisent vraiment de me filer entre les doigts. » (p. 37 & 38) Cette blonde, c’est Béate, jeune et délicieuse, énigmatique et inaccessible. Elle sait changer la couleur de ses yeux, se rendre invisible et se dédoubler. Un pur fantasme sensuel, mais Thomas ne peut oublier Zoé. « Zoé. Pourquoi t’ai-je laissée partir ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? » (p. 124) Pris les affres d’un double tourment amoureux, Thomas craint de perdre la lointaine Zoé et de ne pas savoir retenir la présente Béate. « À l’instar d’une parfaite pizza, les bons souvenirs étaient difficiles à trouver, alors comment accepter de repousser les pensées liées à Zoé, même si Béate était plus réelle ? » (p. 77) La solution est peut-être que l’une devienne l’autre, que l’autre remplace l’une. Peuvent-elles se confondre, ces femmes de deux époques, pour devenir une troisième que Thomas ne laissera pas s’échapper ? « À Venise, personne ne disparaît » (p. 44)
« Aucune femme ne saurait transpercer un cœur plus sûrement qu’une phrase prononcée au moment voulu. » (p. 213) Pour reprendre cette phrase du roman, je dirais qu’aucun auteur ne peut gâcher le mystère de son livre plus sûrement qu’une phrase écrite trop tôt. Pour avoir lu récemment Rêver, c’est aussi vivre, j’ai compris très rapidement de quoi était faite la révélation finale du roman. Cependant, le texte est très bien construit et c’est avec plaisir que j’ai suivi Thomas dans ses errances amoureuses et ses réminiscences sentimentales. Il est un peu tête à claques et j’admire la patience de Béate face à cet homme capricieux et versatile, mais il est attachant malgré tout, avec son obsession romantique. « Où que Zoé soit, chaque fois qu’il l’aperçoit, Béate était là, se mêlant de tout, rompant le sortilège. » (p. 206)
J’ai beaucoup lu et relu Curt Leviant ces derniers temps. Je vais faire une pause. J’aime toujours autant cet auteur, mais je ne retrouve pas l’émerveillement de ma lecture de Journal d’une femme adultère et de L’énigme du fils de Kafka.