La colonie pénitentiaire pour mineurs de Belle-Île-en-Mer est une antichambre du bagne pour tous les mômes à qui la société a tourné le dos. Là, envisager le futur est impossible puisque le présent n’est que brimades, coups, injustice, nuits froides et estomacs vides. « Je n’étais qu’une nuque et un dos. Un vaurien maté, le front contre le bord de sa gamelle. Un docile. » (p. 8) Parmi les jeunes colons, Jules Bonneau ne rêve que de partir. Il veut être marin, ne plus jamais être enfermé entre des grilles. Pour seule tendresse, il n’a qu’un ruban de soie grise qu’il cache au creux de ses hardes. Pris parfois d’une rage intense, il rêve qu’il assassine sauvagement pour se libérer. « Tuer pour de faux était ma respiration. Ma stratégie pour survivre. » (p. 29) Il ne lui reste que quelques mois avant sa majorité et sa libération, alors il serre les dents. Jusqu’au soir où son jeune protégé, envoyé au bagne parce qu’orphelin, subit une énième injustice de la part des matons. La colonie s’enflamme : 56 gamins se mutinent, renversent les gardiens et s’échappent dans une nuit d’août 1934. Hélas, pour peu de temps. « Les récifs, les courants et les tempêtes. On ne s’évade pas d’une île. On longe ses côtes à perte de vue en maudissant la mer. » (p. 15) Tous sont repris, sauf Jules qui, enfin, touche à la liberté. Il doit apprendre à faire confiance à celleux qui lui tendent la main, mais comment accepter la douceur et la compassion quand on a toujours été écrasé ? « Depuis tous ces jours, j’étais un homme libre. Je faisais face à la mer et au vent. Je marchais le front presque haut, le regard presque droit. » (p. 161) Jules Bonneau peut-il vraiment prétendre à la vie d’honnête homme sans céder à la rage qui le consume ?
Le roman s’ouvre sur un extrait de L’Enfant, de Jules Vallès, qui fut longtemps mon livre favori et que j’ai relu fiévreusement à de nombreuses reprises. Sorj Chalandon sait très bien écrire les chagrins immenses des enfants. Il m’a cueillie au cœur avec Le petit Bonzi, son premier roman. Là, il apporte un réconfort posthume à des gamins pour qui la réhabilitation semble impossible, tant le système pénitentiaire les broie. Face à une justice qui condamne pour des vétilles les enfants au bagne, Sorj Chalandon étale les crimes secrets des adultes. Il fait surgir en ses pages un poète, plus proche des mômes que des cognes. « S’il vous plaît, ne vous moquez jamais d’un poète, ça vous fait ressembler à un gendarme. » (p. 183) Cette lecture bouleversante m’a rappelé la bande dessinée de Frédéric Bertocchini et Éric Rückstühl, Le bagne de la honte, consacrée à une colonie agricole corse. Une fois encore, Sorj Chalandon signe un grand roman qui parle d’humanité.