D’azur et d’acier

Texte de Lucien Suel.

Pendant 3 mois, entre 2009 et 2010, l’auteur était accueilli en résidence à Fives, quartier est de Lille. Il a marché dans les rues, fait ses courses chez les commerçant·es et discuté avec les habitant·es au hasard des rencontres quotidiennes. Il a observé les traces laissées par les anciennes industries et les projets de réhabilitation. «  Je suis très étonné de voir cette conversion des bâtiments, ce recyclage ininterrompu au long des époques. » (p. 11) Si les lieux changent de destination, les populations évoluent également : les bleus de travail ont disparu et Fives s’est faite cosmopolite, entre bobos branchés et communautés immigrées intégrées dans la ville. « Le pari de la rénovation du quartier à Fives est qu’un public n’écarte pas l’autre. » (p. 111)

Au gré de sa poésie industrielle, l’auteur façonne des briques de texte qui, associées comme autant de tablettes d’argile, échafaudent l’histoire d’un espace de vie populaire et portent la mémoire d’un patrimoine menacé d’effacement qui ne demande qu’à être vu. « Composer des poèmes ayant une forme de brique (22 x 6). Un travail de maçon. » (p. 45) Dans les poèmes de Lucien Suel, il y a des listes de noms, de souvenirs, de lieux : recenser et cataloguer, c’est la première façon de faire mémoire, avec l’espoir qu’inscrire sur le papier conserve aussi longtemps que la trace gravée dans la pierre.

Cette exploration poétique m’a fait déambuler mentalement dans mon cher quartier. Je connais chaque rue citée et chaque enseignée observée, mais j’ai découvert plus précisément la grande histoire de Fives. Madeleine Caulier, Pierre Degeyter et Fives-Cail, voilà des noms qui parlent de résistance, de solidarité et de syndicalisme, entre autres choses. Dans la chronologie de Fives, il y a le passage de Louis XIV, le glacis qui n’a jamais vraiment disparu, les bombardements de la Deuxième Guerre, et surtout l’industrie ferroviaire et automobile. « Les locomotives sortaient d’ici et traversaient la mer pour rejoindre le Far West ou l’Argentine. » (p. 35) Parmi tous les autres quartiers de Lille, Fives est sans aucun doute un des plus ouvriers. Hélas, les usines ont fermé au début des années 2000, envoyant les travailleur·ses sur le carreau et la production dans des pays lointains. « Tu marches au milieu des années passées. Tu traverses les souvenirs. » (p. 12) Grande friche de poutrelles et de vitres brisées, le quartier a dépéri, puis s’est relevé , tournant ses briques vers l’avenir. « De nos jours, faute d’espaces à conquérir, les personnes vivantes ont encore davantage besoin de temps à vivre. » (p. 104)

Comme Lucien Suel, je rejoins souvent à pied la gare Lille Flandres, en passant sous le pont qui débouche sur les voies ferrées et donne à voir les tours de verre et de béton d’Euralille. J’aime mon quartier et je l’aime encore plus maintenant que j’ai lu les mots de l’auteur. Et quelle joie de découvrir en fin d’ouvrage que La Contre-Allée, maison d’édition dont j’apprécie beaucoup les publications, est née à Fives.

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2 réponses à D’azur et d’acier

  1. Lydia dit :

    Même si je ne connais pas suffisamment Lille et ce quartier, ça m’a l’air non seulement intéressant mais surtout très bien écrit.

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