Le Nazi et le Barbier

Roman d’Edgar Hilsenrath.

Né en 1907, Max Schulz est un « aryen pure souche », même s’il ne sait pas qui est son père. Son récit est celui de sa vie, depuis sa première minute sur terre, sans omettre aucun détail sordide. Il raconte son beau-père abusif, sa mère pute, mais aussi son amitié avec Itzig Finkelstein, fils du meilleur coiffeur juif de Berlin. Les deux amis n’ont pas le physique de leurs identités : Max est brun et malingre, Itzig est l’archétype blond tant vanté par les nazis. Ce que raconte Max, ce sont aussi ses crimes, et il prend son temps. « Je vous fais poireauter, pas vrai. Ça vous titille, hein, de savoir quand est-ce que je suis devenu meurtrier de masse ? » (p. 60) Pendant la Deuxième Guerre, Max est du côté des bourreaux et des génocidaires. Mais quand la guerre prend fin, il faut bien continuer à vivre. Alors, grâce à une poignée de dents en or et une absence totale de vergogne, Max devient Itzig. « J’ai toujours été un idéaliste. Un idéaliste qui sait changer son fusil d’épaule. Quelqu’un qui sait que la vie est plus facile du côté des vainqueurs que des vaincus. […] Et comme les Juifs ont gagné la guerre… » (p. 136) Sous sa nouvelle identité, il quitte Berlin en ruines pour une colonie juive en Palestine. Il se marie, installe son salon de coiffure à Tel-Aviv, devient membre de la Haganah et participe à la fondation d’Israël

« Le génocidaire que je suis » (p. 8) : un nazi convaincu qui devient un sioniste enragé, c’est une satire féroce que seul le talent d’Edgar Hilsenrath pouvait porter. Du bois grinçant dont sont faits tous les textes de cet auteur, ce roman interroge l’Histoire du point de vue des perdants et des lâches. « Moi […] Max Schulz, je n’ai jamais haï les Juifs. Hein ? Pourquoi j’ai tué ? » (p. 181) En dépit de son identité double, dédoublée, schizophrénique, dissociée et très encombrante, l’ancien nazi ne peut échapper à ses remords : plus il s’investit dans la défense d’Israël et plus il se convainc d’être Juif, plus il demande le pardon. « Je vous assure que moi, Max Schulz, je poursuis le même but que vous ! […] Une peine contre moi-même qui puisse satisfaire mes victimes ! » (p. 346) J’ai relu ce texte avec la même admiration que lors de ma découverte. Je me souviens aussi du seul-en-scène que j’avais vu dans une minuscule salle parisienne : l’acteur animait cette fable absurde avec une puissance époustouflante.

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