Vigdis Adélaïs, blonde Normande, s’enfuit avec David Todros, juif brun de Narbonne. Pour la prosélyte, désormais nommée Sarah/Hamoutal, l’amour est plus fort que tout. « Ici la fille chrétienne d’un Viking, Vigdis Adélaïs, devint la belle-fille séfarade du grand rabbin Todros de la France méridoniale. » (p. 118) Stefan Hertmans s’est installé à Monieux dans le Vaucluse. C’est là qu’il a découvert l’histoire de la convertie normande. De Rouen au Caire, en passant par Marseille et Palerme, il refait le chemin emprunté par cette femme qui a bravé sa classe sociale et sa religion pour vivre avec l’époux qu’elle avait choisi. « Je touche les murs rugueux sur lesquels perle l’humidité et me dis : David Todros, je touche mille ans plus tard la pierre que tu as connue. » (p. 68)
En 1092, cet amour interdit abrité à Monieux allait subir de plein fouet le passage de la première Croisade. Il en fallait si peu pour attiser la haine envers les étrangers et les non-chrétiens ! Et ce alors que nombreux étaient ceux qui ne cherchaient que la concorde. « Son père répond sèchement que les juifs, tout comme les Normands, veulent vivre en paix et que ce sont vraiment les prêtres et les zélotes qui sont les instigateurs de troubles. » (p. 41) Mille ans après, l’auteur reconstitue une vie de transgression et de souffrance. Mille ans après, la prosélyte de Monieux fait encore parler les universitaires du monde entier.
Je suis toujours circonspecte quand un auteur raconte une histoire en y mêlant sa démarche de recherche et d’écriture. Ici, Stefan Hertmans fait ça avec adresse, en dosant parfaitement les informations véridiques qu’il a collectées et la part de fiction qu’il insuffle dans son récit. Cela donne un ensemble passionnant, très bien écrit, et un texte que j’ai dévoré en trois heures.