Dans la vallée du Gour Noir, le barrage et la centrale électrique font vivre des familles entières. Personne ne remet en question l’autorité de Joyce, maître de la ville. Personne n’espère rien d’autre que ce labeur quotidien. « Proposer une vie meilleure aurait été considéré comme un acte de haute trahison envers la bête. Continuer, transmettre la soumission et la peur, démembrer les rêves entrevus dans l’enfance, représentait le projet des adultes. » (p. 19) La famille Volny n’échappe pas à la dureté de cette existence : le père ne s’exprime que par la rage et la mère se réfugie dans une foi malsaine. Les quatre enfants, Marc, Matthieu, Luc et Mabel, sont durablement liés. Leur lieu de prédilection, c’est le viaduc sous lequel ils se balancent à l’aide de cordes, surplombant l’abîme et rêvant d’ailleurs. « Durant des années, la famille se maintint en un équilibre précaire cimenté par la crainte et l’indifférence. » (p. 38) Et cet équilibre vacille et s’effondre : un des enfants quitte la maison, et commence une suite de drames violents dans la ville. Tout est lié et chaque mort semble logiquement en entraîner une autre, jusqu’à l’acmé finale. Avant cela, la famille Volny saura-t-elle renouer les liens perdus ? « Les hommes disent souvent trop tard les choses qu’ils ont sur le cœur ou ils ne les disent jamais, et des fois même, ils ne comprennent pas que c’est sur le cœur que sont les choses. » (p. 322)
Je n’avais pas du tout apprécié Plateau, un des précédents romans de l’auteur. Mais j’en avais oublié le souvenir jusqu’à ma lecture de Buveurs de vent. Et là, véritable révélation : la plume de Franck Bouysse m’a emportée. Et son histoire surtout ! « La vie, il faut la laisser déborder tant qu’il y en a. » (p. 51)
Impossible de situer précisément le Gour Noir : en Auvergne peut-être, mais tout aussi probablement quelque part dans l’Amérique profonde, là où les montagnes sont des frontières et où un étranger ne sera jamais vraiment intégré dans la communauté. Buveurs de vent est un texte âpre où chaque sentiment est malmené jusqu’au plus sombre dénouement. « On se demande souvent après coup à quel moment la vie s’est transformée en destin incontrôlable, quand la machine s’est emballée, si c’est un enchaînement d’événements passés qui préside au changement ou si le changement lui-même est inscrit dans l’avenir. » (p. 235) Il y a de la tragédie grecque dans cette violence, mais aussi des héros et des innocents. C’est de la puissance faite littérature. Magnifique !