Roman de George Eliot.
Maggie Tulliver grandit dans le moulin de ses parents avec son frère Tom qu’elle admire profondément. « Je l’aime plus que n’importe qui au monde ! Quand nous serons grands, j’irai habiter avec lui et je tiendrai son ménage. Nous vivrons toujours ensemble. » (p. 32) Mais Thomas est toujours prompt à réprimander sa petite sœur et les deux enfants se disputent souvent, le caractère bouillant et emporté de Maggie n’arrangeant rien. « Elle souciait fort peu d’avoir de jolis cheveux, mais elle entendait qu’on appréciât son intelligence et qu’on ne la réprimandât pas toujours à propos de tout. » (p. 67) Quand il est envoyé chez le révérend Stelling pour suivre une éducation très classique, Tom se détache de Maggie, mais prend fait et cause pour son père qui s’embourbe dans un procès compliqué. Hélas pour la famille Tulliver, la cause est perdue et tous les biens vendus. Le père Tulliver, diminué par une attaque, ne peut plus vraiment subvenir aux besoins des siens et il fait promettre au jeune Tom de rembourser les dettes de la famille et de restaurer l’honneur des Tulliver. Avec acharnement, Tom économise chaque sou et entretient en son cœur une haine farouche contre l’avocat Wakem, responsable de la ruine des Tulliver, et contre son fils Philip, un jeune homme bossu. « Supposer que Wakem éprouvait pour Tulliver une haine semblable à celle que celui-ci lui portait serait supposer qu’un brochet et un gardon peuvent se considérer l’un et l’autre d’un même point de vue. » (p. 257) Pour ne rien arranger, Maggie devenue une belle jeune fille s’éprend de Philip Wakem, puis du fiancé de sa cousine, la charmante et douce Lucy, deux sentiments qui ne causeront que tourments et malheurs.
En khâgne, j’ai beaucoup souffert sur certains passages en version originale de ce roman. Treize ans plus tard, il était temps que je m’attaque à la version intégrale et traduite – autant se faciliter la tâche. Ce roman est un monument de la littérature anglaise et je le comprends tout à fait. Mais je n’ai pas été emportée par ce texte comme par d’autres classiques. J’ai constamment plaint cette pauvre Maggie qui réfrène ses sentiments pour plaire à son père et à son frère. Elle est la victime expiatoire d’une querelle qu’elle n’a jamais faite sienne. Les idées définitives de Tom et de son père rendent difficile tout attachement à ces personnages masculins qui se retrouvent dans la même humiliation butée et le même désir de vengeance. Il y a toutefois des passages délicieusement ironiques quand les sœurs de Mrs Tulliver et leurs époux entrent en scène. Tout ce petit monde très pénétré de son importance est parfaitement méprisable. La fin du roman, éminemment tragique, voit l’ultime réconciliation entre Tom et Maggie que la vie et l’orgueil n’avaient cessé de séparer. Je suis finalement contente d’avoir poursuivi ma lecture jusqu’au bout. Et j’ai beaucoup pensé à mon jumeau avec ce roman : nous sommes bien loin d’avoir les relations houleuses de Tom et Maggie, mais nous ne voyons pas assez souvent, c’est certain.