Le château de mes sœurs – Des Brontë aux Kardashian, enquête sur les fratries féminines

Essai de Blanche Leridon.

« Si le mot manque, il est relativement aisé d’en déterminer les causes. Une fratrie uniquement féminine a longtemps été considérée comme une forme d’échec, une anomalie de la nature. Dans des sociétés largement patrilinéaires, la descendance passe d’abord par le fils. » (p. 10) Se fondant sur l’absence du mot qui désigne les groupes de sœurs au sein des familles, l’autrice explore un impensé, une gêne, presque un tabou. Une mère-épouse incapable de donner un fils à son époux est défaillante, inutile, presque coupable, quel que soit le nombre de filles qu’elle peut porter. Descendance encombrante, parfois onéreuse, les filles/sœurs sont un poids, presque une malédiction dont il convient de se débarrasser, et dans le meilleur des cas (vraiment ?) en les mariant. L’héritage paternel n’est pas pensé pour elles et la société scrute avec angoisse leur surnombre : certains pays et époques ont pratiqué ou pratiquent encore l’avortement sélectif, voire des infanticides : il faut faire de la place au fils. Les fratries masculines peuvent être nombreuses : c’est une gloire pour le patriarche. Les fratries féminines, au contraire, sont une honte, une source de moqueries. « À quoi bon nommer l’indésirable ? Et si donner un nom, c’était conférer un pouvoir performatif à la réalité redoutée qu’il décrit ? » (p. 30)

Blanche Leridon fonde son argumentaire sur des romans, des films, des séries, des exemples très concrets et modernes, des mythes et une large iconographie. La figure de la sœur fascine autant qu’elle désarçonne et elle nourrit des clichés tenaces : les sœurs sont forcément rivales – pour l’amour de leurs parents ou d’un même homme –, ou bien encore en compétition dans leurs domaines d’expertise. « Nier la rivalité entre sœurs est donc bien une bêtise ; la réparer puis la dépasser devient, dès lors qu’on l’accepte, une revigorante étape. » (p. 134) L’autrice valorise les exemples d’entraide, loin d’être rares ou anecdotiques, qu’ils soient fictifs ou réels. Avoir des sœurs, c’est être entourée de soutiens, être entraînée par des mains bienveillantes à devenir la meilleure version de soi-même. Se pose une question forte : combien reste-t-on ou redevient-on sœurs à l’âge adulte, quand ce ne sont plus jeux qui nous rassemblent ? « Ni fille, ni épouse, ni mère, mais sœur ! En raffermissant cette place, qui pourra bien sûr s’émanciper très vite du seul cadre familial, on introduit cette horizontalité libératrice, infiniment plus égalitaire. […] Réhabiliter cet état de sœur, c’est aussi, d’une certaine manière, relativiser la toute-puissance de la maternité, la remettre à sa juste place, et proposer des modèles alternatifs d’accomplissement du féminin. » (p. 25)

Je ne peux que vous recommander cette démonstration limpide et revigorante, et je vous laisse avec quelques extraits. Évidemment, ce texte prend place sur mon étagère de lectures féministes.

« Être sœur vous façonne, vous stimule et vous prépare – premier rapport à l’altérité là où beaucoup ne voudraient voir que du même. » (p. 10)

« Tous les milieux concourent à enfermer nos sœurs dans des logiques de jalousie et de compétition. » (p. 101)

« Dans le château de mes sœurs, on ne cède ni aux binarités faciles ni aux raccourcis misogynes, et c’est à ces conditions-là qu’émergent de belles et stimulantes histoires. » (p. 112)

Ce contenu a été publié dans Mon Alexandrie. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Le château de mes sœurs – Des Brontë aux Kardashian, enquête sur les fratries féminines

  1. Lydia dit :

    Voilà qui doit être intéressant !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.