Roman de Calixthe Beyala.
Saïda Bénérafa a vu le jour dans un bidonville aux portes de Douala, au Cameroun. Élevée dans les stricts principes de l’Islam par un père qui voulait un fils, elle prend très vite conscience de sa différence. Son isolement s’accroît à mesure que les années passent. Alors que les filles du bidonville se marient ou quittent le village, Saïda reste seule. Surnommée la Vierge des vierges, elle cultive farouchement la certitude qu’une femme ne doit s’offrir qu’à son époux. Quand elle émigre en France, elle a plus de quarante ans. La vie à Belleville n’est pas plus douce, mais Saïda découvre qu’elle peut se battre pour son bonheur sans perdre son honneur.
« Je naquis comme naissent les mythes, avec des on-dits. » (p. 28) Le récit que livre Saïda est tissé de potins et de cancans qui circulent à la folle allure du téléphone arabe pour devenir légendes et certitudes. Des cases du bidonville où elle a grandi aux rues de Paris où elle devient femme, son existence se nourrit de bruits de couloir. « Depuis l’esclavage et la colonisation, la vie de chaque Africain est un conte. » (p. 373) Saïda vit un monde fait de règles orales. L’école coranique a imprimé en elle des certitudes que le temps mettra longtemps à affaiblir.
La femme est au centre de ce roman africano-français. Il y a Saïda, vierge au-delà de la ménopause, farouchement décidée à préserver son corps pour son hypothétique époux. Prête à tout céder, à tout abandonner, elle brandit envers et contre tout sa virginité comme un étendard de fierté, la preuve ultime d’un honneur que rien ni personne ne peut fouler aux pieds. Il y a les autres femmes, les mères, les épouses, les filles, les prostituées, femmes vendues ou femmes accomplies, toutes celles qui ont connu ou connaîtront l’homme. Il y a Ngaremba, noire et indépendante, écrivain public, déterminée à sauver l’Afrique pour s’acquitter d’une dette douloureuse. Le continent africain semble lui-même être femme: il engendre des milliers d’êtres et les expulse hors de son sein, vers des contrées apparemment plus vertes et lumineuses. Tous les Africains, quelles que soient leurs croyances, sont frères dans la misère d’une terre d’accueil au cœur bien sec.
Soumise à son père puis à sa cousine Aziza, entièrement dévouée à Ngaremba et à sa fille Loulouze, Saïda ploie sous le joug de la famille, du Coran et des traditions. Jusqu’à ce que… « J’en ai marre qu’on me chie dessus. Tout le monde fait ses besoins sur moi, depuis ma naissance. » (p. 348) Saïda s’éveille un jour, enfin, à la réalité, au temps dans lequel elle vit. La révolution brutale n’a pas lieu, tout se passe dans une lente prise de conscience, un éveil mesuré mais salutaire. Enfin ouverte à la vie, elle rencontre l’amour qui vivait sous ses yeux depuis longtemps.
Si certains honneurs sont perdus, il est possible d’en obtenir de nouveaux : apprendre à lire, accepter de ne pas appartenir à un homme pour être un femme. Saïda sort les épaules du bourbier dans lequel elle s’enlisait et c’est tête haute qu’elle entame son chemin de femme.
Ai-je aimé ce roman ? Je ne sais que dire. L’histoire est poignante, Saïda est un personnage attachant et héroïque à sa manière. Son épopée est riche des légendes que l’on raconte dans les veillées africaines, puissante comme un conte philosophique et simplement belle comme tout cri d’amour lancé à la face de l’univers. L’écriture est vibrante. La plume de Calixthe Beyala est enivrante, elle égrène des fumets et des épices au fil des pages. Alors pourquoi n’ai-je pas frissonné de concert avec les chairs endormies de cette vierge éternelle qui s’ouvre aux plaisirs de la vie? Incapable de marcher aux côtés de Saïda, j’ai suivi de bien loin son aventure. Et j’en suis frustrée, car c’est le genre de textes qui d’ordinaire me transportent. Si certains l’ont lu, je suis curieuse de connaître leur avis.