Brontëana

« Les Bell sont une fratrie de trois écrivains : Currer, Ellis et Acton Bell. » (p. 7) Craignant que leurs écrits soient refusés par les éditeurs, les sœurs Charlotte, Emily et Anne Brontë ont pris un nom de plume. « C’est certainement étonnant de décrire une femme comme un être humain en littérature, je vous l’accorde. » (p. 162) C’est le scandale causé par la parution de La recluse de Wildfell Hall qui pousse Anne à revendiquer son texte, dévoilant ainsi la mystification. Qui est vraiment la benjamine de la famille Brontë ? Quelle est sa place dans cette fratrie à l’imagination débridée ? Anne est une enfant maladive et surprotégée, mais avide de vie et d’animation. Devenue adulte, elle refuse de se contenter d’une morne existence et revendique son indépendance et le droit de faire ses erreurs autant que ses preuves.« Quelle est notre place ? Ne serons-nous jamais que des filles de pasteur ? Quelle autre voie que de devenir gouvernante ou épouser, si par miracle nous rencontrons un homme bon ? J’aurais aimé un autre destin. » (p. 61) Comme Charlotte et Emily, Anne écrit parce que cette activité est un moyen de subsistance, mais les trois sœurs écrivent surtout pour exprimer leurs êtres profonds et leur vision du monde, étonnamment large alors qu’elles ont si peu voyagé et si peu vécu. « Nous les avons dérangés et agités dans leurs petites cages étriquées. […] Nous apportons quelque chose de nouveau et de différent. » (p. 133)

J’ai lu toute l’œuvre des sœurs Brontë et je vous recommande tous les titres : Agnes Grey et La recluse de Wildfeld Hall d’Anne Brontë, Les hauts des Hurlevent d’Emily Brontë et Jane Eyre, Le professeur et Shirley de Charlotte Brontë. Je garde également un très bon souvenir du Monde infernal de Branwell Brontë de Daphné du Maurier. Le roman graphique de Pauline Spucches rejoint ces titres si précieux à mon cœur. Les couleurs vibrantes des dessins et les aquarelles profondes sont des trésors à observer : que l’on est loin de l’image terne qui nuit tant aux portraits de ces trois sœurs ! J’ai parcouru avec un émerveillement intense les pages découpées avec audace et les images dynamiques. Certaines pleines et doubles pages mériteraient d’être encadrées tant elles sont denses et riches en détail, saturées de mouvements et d’émotions.

Deux extraits me touchent particulièrement. « Un auteur pervers, qui ignore totalement les usages de la bonne société. / Que faites-vous des pauvres femmes qui se trouveront avec un tel ouvrage entre les mains ? / Elles sont tellement influençables… » (p. 12) Paulina Spucches a saisi avec une acuité certaine le patriarcat méprisant du 19e siècle, pas vraiment disparu de nos jours… L’autre extrait montre la crainte d’Anne de ne rien accomplir avant de disparaître, angoisse profonde que je partage complètement. « Lorsque je mourrai, on ne pourra pas dire qui j’ai été. […] Petit bout de femme. Charmante. Dame mélancolique. Attachante, mais peu profonde. » (p. 88)

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