Essai de Juliette Ferry-Danini.
« Pourquoi un médicament prescrit à de nombreuses femmes semble faire l’unanimité contre lui ? » (p. 15) Le mis en cause, c’est le Spasfon ou phloroglunicol pour son nom pharmaceutique. Le produit n’a pas fait l’objet d’études scientifiques solides pour démontrer son efficacité sur les douleurs gynécologiques, biliaires et urinaires, et ce alors qu’il est vendu depuis 1960 et qu’il dispose d’une autorisation de mise sur le marché renouvelée sans remise en cause depuis 1973. Pas de revues systématiques et pas d’essais cliniques randomisés pour le Spasfon : la pilule rose tant prescrite aux femmes est pourtant distribuée à tour de bras.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que la douleur féminine est minimisée par le monde médical et que les femmes se voient en outre prescrire un médicament inefficace. On peut parler de double peine… Les soignant·es demandent notamment aux femmes de dédramatiser leurs douleurs menstruelles, ce qui revient à remettre en cause la parole desdites femmes sur leur propre corps. Le Spasfon est l’un des médicaments les plus prescrits en France pour traiter les douleurs de règles, au motif qu’il est un antispasmodique. « Avons-nous troqué l’hystérie pour une théorie plus inoffensive en apparence, celle du spasme ? » (p. 123) Ce qui est certain, c’est que des parturientes se voient prescrire la pilule rose au lieu d’antalgiques et que des femmes réglées n’obtiennent pas d’anti-inflammatoires.
Quand on revient à l’histoire du Spasfon, la description des premiers tests fait froid dans le dos. Le laboratoire déclenchait volontairement des douleurs biliaires chez des patientes pour tester son nouveau produit… « Derrière la success story du phloroglucinol se cache finalement une expérimentation humaine moralement problématique et à la scientificité très contestable. » (p. 86) Poursuivons le portrait des pilules roses : ces dernières n’ayant pas fait la preuve de leur efficacité, elles seraient donc inoffensives, comme un placebo ? Pas tout à fait… et quand bien même elles le seraient, il est inadmissible de les prescrire aux femmes sans qu’elles le sachent. « L’étude souligne que le Spasfon est également souvent considéré comme par les professionnels de santé comme un placebo. C’est presque un secret de polichinelle : c’est évident pour beaucoup de médecins, mais rarement dit aux patientes. » (p. 141) De fait, les femmes n’ont pas consenti à prendre un produit qui n’a aucune efficacité et qui retarde, voire empêche leur accès à une meilleure prise en charge de leur douleur. Petit détail qui a tout son sel : « Le phloroglucinol étant par ailleurs une molécule utilisée dans la fabrication d’explosif. » (p. 69)
J’ai depuis longtemps constaté que le Spasfon n’a aucun effet sur moi, mais vu mon passif avec les médicaments, je pensais que c’était personnel. Cette lecture m’ouvre les yeux et me met en colère, mais c’est une colère saine ! Elle me donne des armes pour refuser – enfin – fermement ce produit quand un médecin veut me le prescrire ou qu’une pharmacie veut me le délivrer. « Ceci est un livre de philosophie de la médecine féministe. Un tel projet a pour objectif d’identifier et de déconstruire des biais au sein de la connaissance médicale qui affectent injustement les femmes. » (p. 11) Cet essai prendra évidemment une place bien méritée sur mon étagère de lectures féministes, mais avant, il va circuler parmi les femmes de mon entourage !