« Toute ma vie, j’ai aimé mon frère, je l’ai vénéré, je l’ai suivi. » (p. 5) Tracy a 45 ans. Son mariage est loin d’être une réussite et elle est épuisée par ses jumeaux, deux garçons de 5 ans qui la vampirisent. Pour renouer avec son frère Roy et leur mère, elle part une semaine en Indonésie faire de la plongée. « Viens passer des vacances bien plus stressantes que ton quotidien, parce que ça va être super marrant et sympa de se retrouver tous ensemble. » (p. 26) La promesse de quelques jours reposants s’éloigne dès que Tracy rejoint Roy. Entre eux, immédiatement, les conversations sont à couteaux tirés. « Comment est-on censé passer une semaine entière sans parler de rien ? » (p. 34) Et comme un miroir cruel, la beauté des fonds marins est un mirage tant la plongée dissimule des dangers mortels.
David Vann sait terriblement bien parler des familles dysfonctionnelles, comme il le prouve depuis ses premiers textes. « Peut-être que la famille est un immense sac à merde qui se balance dans le vent, et qu’on s’en sert de piñata avant de reculer pour ne pas être éclaboussé quand elle éclate. » (p. 38) L’animosité cinglante entre les trois protagonistes ne fait que révéler la violence que chacun s’inflige, ainsi que des pulsions de meurtre de plus en plus brûlantes. Et le drame irréversible est à portée de main, au bout de doigts. Il ne faudrait qu’un battement de cil pour ouvrir les vannes au pire. Komodo explore l’esprit épuisé d’une femme à bout de patience, de pardon et de compréhension. « Et qu’est-ce que je reçois comme récompense, moi, pour n’avoir jamais causé de problème ? je demande. Si le fils prodigue a droit à tous les honneurs, que reçoit la fille fidèle ? » (p. 65) Et c’est du pur génie : jamais racoleur, jamais caricatural, le roman est une peinture vraie de l’instant qui précède les tragédies.