J’avais lu et apprécié Just Kids, récit de la jeunesse de l’auteure et de ses amours avec Robert Mapplethorpe. J’ai ici retrouvé avec plaisir la plume sensible et vagabonde de Patti Smith. « Nos pensées ne sont-elles rien d’autre que des trains qui passent, sans arrêt, sans épaisseur, fonçant à grande vitesse devant des affiches dont les images se répètent. » (p. 66) De sa table attitrée dans un petit café de Bedford Street à New York en passant par le Mexique, l’Angleterre, le Japon et beaucoup d’autres pays, elle donne à voir ce qui constitue la carte de son monde intérieur. À 66 ans, avec plusieurs chats, un appartement à New York, une passion pour les séries policières et les livres, l’auteure ne s’impose rien. « Je suis certaine que je pourrais écrire indéfiniment sur rien. Si seulement je n’avais rien à dire. » (p. 8) Ses déambulations physiques ou mentales ne sont ni vaines ni précises, mais autant d’errances poétiques et délicates en elle-même. « J’ai vécu dans mon propre livre. Un livre que je n’avais jamais eu l’intention d’écrire, enregistrer le temps écoulé et le temps à venir. »(p. 156) Entre rêve et réalité, passé et présent, Patti Smith évoque des souvenirs et chante la fuite du temps, avec élégance et nostalgie.
Illustré de clichés pris par Patti Smith elle-même, cet ouvrage est un peu un inventaire à la Prévert, une carte aux trésors. On suit l’auteure sur le chemin de ses maîtres, à la rencontre des références qui ont forgé son univers artistique : livres, films, séries télévisées et musiques, nombreuses sont les œuvres qui composent son panthéon personnel. En montrant ce qu’elle aime, Patti Smith se dévoile, forces et fêlures indistinctement mêlées. « Le lecture souhaite-t-il seulement me connaître ? Je ne peux que l’espérer, tandis que j’offre mon monde sur un plateau rempli d’allusions. » (p. 54) Dans son monde intime, il y a un cow-boy qui hante ses rêves, le souvenir toujours douloureux de son mari Fred trop tôt disparu, des artistes croisés et aimés, une maison presque en ruines près d’une plage. Sans vraiment s’expliquer comment ni pourquoi, Patti perd des choses : livres, manteau et appareil photo sont autant de cailloux blancs laissés derrière elle. « Nos possessions pleurent-elles de nous avoir perdu ? » (p. 183)
Inclassable, tout comme son auteur, ce texte se savoure comme un carnet de voyage intime. Il n’y a rien à apprendre, rien à découvrir au bout du chemin, mais une multitude d’émerveillements à saisir tout au long du parcours, jusqu’au moment de revenir à la maison, dans une bienheureuse quiétude bâtie sur des certitudes simples. « Mon chez-moi est un bureau. L’amalgame d’un rêve. Mon chez-moi, ce sont les chats, mes livres, et mon travail jamais fait. Toutes les choses disparues qui, un jour peut-être, m’appelleront. » (p. 188) M Train est un charmant ouvrage, délicat et émouvant, à l’image de son auteure, poétesse maudite bénie des muses.