Après des années à Londres, Margaret Hale retrouve la douceur du foyer familial dans le Hampshire. Mais son père, en proie à des doutes spirituels, décide de quitter sa charge de révérend. La famille doit alors s’installer à Milton-Northern, ville industrielle du Darkshire. Les premiers temps, Margaret ne peut s’empêcher d’opposer la beauté de la paroisse et de son écrin de nature à la noirceur de la cité ouvrière. Elle est convaincue que l’homme ne peut pas être heureux dans cette atmosphère poussiéreuse. « Certes, dans le Sud, nous avons nos pauvres, mais leur visage ne porte pas cette terrible expression que je vois ici, et où se lit un morne sentiment d’injustice. » (p. 126) Mais surtout, elle nourrit une aversion et des préjugés tenaces envers les commerçants et les boutiquiers. Pourtant généreuse et dévouée, Margaret fait parfois montre d’orgueil et de froideur, surtout envers John Thornton, patron d’une usine textile qui devient l’élève favori et l’ami de son père. Elle reproche au jeune homme d’exploiter les masses industrieuses qui se tuent à la tâche pour lui. Cependant, à mesure qu’elle apprend à connaître le nord et son environnement industriel, ses yeux se dessillent et la magie du sud lui apparaît artificielle et vaine. Découvrira-t-elle la beauté de ce pays de labeur et accordera-t-elle enfin du crédit au pauvre John, désespérément épris d’elle ? Évidemment, oui.
Nord et Sud est un roman social, voire socialiste. « Je constate qu’il y a deux classes dépendant étroitement l’une de l’autre et qui, pourtant, considèrent chacune les intérêts de l’autre comme opposés aux siens. Jamais encore je n’ai vécu dans un endroit où deux groupent ne cessent de se dénigrer. » (p. 183) Il y est question des premières grèves et de la naissance des mouvements ouvriers. La révolution industrielle, si glorieuse de notre point de vue, était un bouleversement terrible pour les populations de l’époque. « Est-ce que vous donnez à vos domestiques des justifications pour vos dépenses et vos économies ? Nous autres, qui possédons le capital, avons le droit de décider de quelle façon nous l’utilisons. » (p. 183) La peinture de ces changements est loin d’être inintéressante, mais dans le genre, j’ai préféré la description qu’en a faite Charlotte Brontë dans Shirley. Quant à la relation et à l’histoire d’amour entre Margaret et John, faites d’affrontements de deux orgueils et deux conceptions du monde, elles m’ont largement moins plu que celles développées par Jane Austen dans Orgueil et préjugés. Elizabeth Gaskell a écrit un roman victorien de très bonne facture, mais pour l’avoir lu après d’autres monuments littéraires, je l’ai trouvé un peu fade. Il me reste à voir la minisérie produite par la BBC.