Point cardinal

Roman de Léonor de Récondo.

Au fond de Laurent, il y a Mathilda. Une femme. La femme qu’il se sait être depuis toujours. Depuis peu, il trouve le courage de devenir Mathilda, le temps d’une heure, loin des regards de ceux qui partagent sa vie. Mais il lui faut toujours revenir à sa vie. « Révolté d’avoir arraché ses habits de lumière, Laurent retourne à l’ombre. […] Lui restera le mensonge. » (p. 11) Solange, Thomas et Claire, son épouse et ses enfants, ne savent rien de tout cela. Et Laurent mène une vie apparemment normale, classique, voire banale. « Laurent n’a jamais évoqué Mathilda. Ce problème – car cette femme en lui en est un – est le sien, et uniquement le sien. » (p. 26) Jusqu’au jour où Mathilda s’impose et réclame la place qui lui est due. Tout change alors : Laurent doit faire face à ses proches, affronter leur incompréhension, voire leur dégoût. Et il bataille avec lui-même pour comprendre sa propre identité. « Comment réunir ma peau d’homme avec la femme que suis à l’intérieur, ses formes, son esprit, ses désirs ? » (p. 61) Il sait que pour être complètement honnête avec lui-même, il devra en passer par la transformation ultime, celle qui fera de son corps le véritable véhicule de son identité. « Un jour, il faudra que je me ressemble. » (p. 61)

Ce court roman est très beau et très délicat. S’il expose avec franchise un sujet complexe, il ne verse pas dans le voyeurisme. La question de l’identité est centrale et renvoie finalement à la construction intrinsèque de tout personnage de roman. Le manichéisme et la dichotomie ne sont pas de mise : être n’est jamais simple et chaque portrait peut se voir sous des angles différents. « Si je ne me suis jamais senti homme, je me suis toujours senti père. » (p. 66) Si le cheminement intérieur de Laurent est troublant et touchant, j’aurais préféré qu’on s’attarde auprès de Solange et des enfants, car le destin de Laurent est finalement tout entier compris dans les premières pages. C’est moins évident pour ses proches qui doivent reconstruire leur propre identité et retrouver leur place dans la famille à l’aune du changement qui touche un de ses piliers. « Que reste-t-il de moi alors qu’il devient quelqu’un d’autre ? » (p. 91) Ce roman m’a beaucoup rappelé le très beau film Laurence Anyways que je ne peux que vous conseiller. Et je vous laisse avec cette dernière phrase, à méditer. « Doit-on être ce que voient les autres, être tel qu’on nous a aimés ? » (p. 114)

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