Émile a 11 ans et son père, André Choulans, l’impressionne énormément. Il a un ami américain, il connaît le président de la république et Léon Zitrone, il a travaillé pour Elvis Presley, il a fondé les Compagnons de la Chanson, il est parachutiste, espion et champion de judo. Mais pour le moment, André Choulans affiche sans honte son soutien pour l’OAS et embrigade son fils dans son combat. Et dans l’appartement, où Denise, son épouse, est une femme falote et résignée, le père de famille ne cesse de ressasser son passé glorieux et ses projets aussi démesurés qu’obscurs. À force d’être embringué dans les délires complotistes de son père et pour le rendre fier, Émile se prête à des jeux d’enfants très dangereux.
Avec le portrait de cet homme tyrannique crispé par la haine, la rancœur et le sentiment d’échec, Sorj Chalandon a frappé un grand coup. En contrepoint, la figure d’Émile, gamin asthmatique qui ne veut que dessiner tranquillement, est d’autant plus fragile. « Pour ne pas le réveiller, nous nous déplacions sur la pointe des pieds. Elle et moi avancions dans l’appartement comme des danseuses. Nous ne marchions pas, nous murmurions. Chacun de nos pas était une excuse. » (p. 30) J’ai lu cette histoire horriblement tragique avec le souffle suspendu. Et si j’ai eu le sentiment que le grand soupir final de soulagement m’était volé, c’est surtout parce que la chute de ce roman est en fait un uppercut. KO debout ! Je veux maintenant lire l’adaptation en bande dessinée, car il est certain que ce roman mérite d’être mis en images !