Victor-Flandrin Pléniel, que l’on appelle aussi Nuit-d’Or-Gueule-de-Loup, quitte la péniche qui l’a vue grandir, s’éloigne de l’eau à laquelle sa famille était attachée depuis des générations pour s’enfoncer dans les terres. Il porte au coup les sept larmes de son père, dont le visage a été marqué par le sabre d’un uhlan en 1870. Il avance accompagné de l’ombre blonde de sa grand-mère qu’il porte comme une protection. C’est à Terre-Noire, un lieu reculé, qu’il établit son existence, qu’il prend femme, quatre fois, et qu’il engendre une descendance nombreuse, sous le sceau de la gémellité et de la tache d’or qu’il transmet à l’œil de tous ses enfants. Traversant les conflits qui agitent le reste du monde, incapable de soustraire les siens aux remous de l’histoire et des passions, Victor-Flandrin dure longtemps alors que sa famille meurt et se réduit.
Nuit-d’Or-Gueule-de-Loup est un personnage comme j’aimerais en croiser plus souvent dans mes lectures: « Nul ne savait vraiment d’où il venait, ni pourquoi ni comment il était arrivé là. Les légendes et les ragots les plus fantasques couraient au sujet de son teint noirci par la poussière de charbon, des taches d’or de son oeil qu’il se mettait maintenant à distribuer à sa progéniture, de son ombre blonde qui hantait toute seule les chemins, de son accointance avec les loups, de sa voix dont l’accent différait de celui de la région, de son regard capable d’éteindre les miroirs et de sa main mutilée. » (p. 94)
Et tous les autres personnages sont aussi bien construits. La question de l’identité est au cœur de tout le roman. Il y a impossibilité pour tous d’être unique. Il n’y a que double et dédoublement, soit par la gémellité, soit par un double prénom, soit par un surnom qui parachève la personne, qui valide l’existence.
Il n’est pas toujours facile de s’y retrouver dans la progéniture de Victor-Flandrin. J’y ai vu une famille fantastique, aux ramifications infinies, un peu comme l’immense tribu des personnages de Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia Marquez. À la fois bien réels et totalement chimériques, les êtres traversent le texte et lui confèrent une valeur merveilleuse, aux limites du fantastique. Il y a celui qui parle aux loups, celui qui porte en lui son frère, celles qui sentent et vivent les malheurs de demain, celui qui chante mieux que les oiseaux, etc.
Le texte, à la fois récit familial, récit initiatique pour chaque personnage, apologue, conte philosophique, légende, se décompose en strates qui ne peuvent aller les unes sans les autres. C’est très bien écrit, puissant et entraînant. C’est la meilleure lecture de mon mois d’octobre.
Pour m’y retrouver et pour ceux qui seraient tentés par le livre, voici un petit récapitulatif de la famille Pléniel. C’est basique, mes compétences en description généalogique n’étant pas bien étendues.
Génération 1 | Génération 2 | Génération 3 | Génération 4 |
Vitalie + Le Père | Théodore-Flandrin | Théodore-Flandrin + Noémie | Honoré-Firmin & Herminie-Victoire |
Théodore-Flandrin + Herminie-Victoire | Victor-Flandrin (Nuit-d’Or-Gueule-de-Loup) | ||
Mariages et descendance de Victor-Flandrin Pléniel | |||
Victor-Flandrin + Mélanie Valcourt | Augustin & Mathurin (Deux-Frères), Mathilde & Margot (La Maumariée) | Deux-Frères + Hortense = Benoît-Quentin | |
Victor-Flandrin + Blanche Davranches | Rose-Héloïse (Sœur Rose de Saint-Pierre) & Violette-Honorine (Sœur Violette du Saint-Suaire) | ||
Victor-Flandrin + une femme anonyme | Raphaël, Gabriel et Michaël | ||
Victor-Flandrin + Elminthe-Présentation-du-Seigneur (Sang-Bleu) | Baptiste (Fou d’Elle) & Thadée | Baptiste + Pauline = Jean-Baptiste (Petit-Tambour) & Charles-Victor (Nuit d’Ambre) | |
Thadée = Tsipele et Chlomo | |||
Victor-Flandrin + Ruth | Sylvestre & Samuel, Yvonne et Suzanne |