Roman d’Atiq Rahimi. Prix Goncourt 2008. (Je n’ai jamais qu’un an de retard…)
« Syngué sabour (du perse syngue « pierre » et sabour « patience »). Pierre de patience. Dans la mythologie perse, il s’agit d’une pierre magique que l’on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances, ses douleurs, ses misères… On lui confie tout ce que l’on n’ose pas révéler aux autres… Et la pierre écoute, absorbe comme une éponge tous les mots, tous les secrets jusqu’à ce qu’un beau jour elle éclate… Et ce jour-là, on est délivré. » (Quatrième de couverture)
Une femme afghane veille son époux, immobile, absent et silencieux depuis qu’il a reçu une balle dans la nuque. Pieuse d’abord, elle égrène les noms d’Allah au rythme des boules d’un chapelet, et entoure son homme de soins attentifs et inquiets. Le silence et l’impassibilité de l’homme ont peu à peu raison de sa patience et de sa retenue. Seule face à l’homme, elle parle pour la première fois, raconte ses attentes déçues, ses trahisons et ses décisions de femme rebelle. Elle dit sa haine de la guerre qui lui a volé plusieurs fois son époux, sa haine d’une religion qui place les principes au-dessus de l’amour. Dans une chambre, elle prend possession de l’esprit de son homme, en fait le réceptacle d’une vie perdue et d’aveux indicibles.
D’abord gênée par le ton du texte et son sujet, je me suis laissée prendre à la beauté des mots. Je n’aime pas les récits qui parlent de maladie, d’infirmité et de diminution physique. Encore moins ceux qui montre l’emprise d’un personnage sur un autre, malade. C’est un voyeurisme qui, plus encore que tous les autres, m’écœure.
Mais il y a dans la plume d’Atiq Rahimi une pudeur au cœur même de l’étalage, une retenue subtile avant le débordement. La femme parle avec haine parfois, colère et lassitude très souvent. Elle blasphème, se repent dans l’instant, et recommence. Son discours est une mélopée sans fin. La narration même participe de tous les aveux de cette femme coupable et blessée. Les descriptions sont des cantiques. Tout dans la langue de l’auteur est célébration, quel que soit l’objet de cette célébration.
Il y a peu de gestes, même si le texte est riche en allusions visuelles, en beautés cachées et en horreurs dissimulées. Mais de mouvements, on ne saurait dire qu’ils abondent. Ce qui rend la conclusion, la dernière page si impressionnante, si troublante! Impossible d’en dire davantage sans déflorer toute une narration subtile et très richement construite.
C’est une belle lecture, mais il vaut mieux être bien dans ses baskets avant d’ouvrir le livre. Déprimés s’abstenir…