Roman de Robert Goolrick.
Ralph Truitt a 52 ans. Il est immensément riche et respecté. Depuis 20 ans et après une infâme trahison, il vit seul, il dort seul. Le masque impavide qu’il présente au monde dissimule une douleur intense, celle du désir inassouvi. Ralph Truitt est obsédé par le corps féminin et sa possession. Décidé à rompre la solitude dans laquelle il s’est enfermé, il fait passer une annonce: « Homme d’affaires rural recherche épouse fiable. Motivations pratiques, pas romantiques. Répondre par lettre. Ralph Truitt. Truitt, Wisconsin. Discrétion requise. » (p.37) Et il reçoit une réponse de Catherine Land. Elle lui écrit qu’elle est cette femme simple et honnête qu’il attend. Catherine n’est cependant qu’une femme assoiffée d’amour et d’argent. Si elle compte profiter pleinement de la richesse de Truitt, elle a bien d’autres desseins pour ce qui relève de l’amour. Le mariage qu’elle contracte avec Ralph Truitt n’est que le premier rouage de la machination dont elle a tout orchestré.
Qu’il est difficile de ne pas trop en dire ! Il y a un troisième personnage fondamental, mais en parler serait dommage. Le texte est riche de tout un ensemble de personnages secondaires: les domestiques, les fantômes du passé qui reviennent hanter les protagonistes, le voisinage rural du Wisconsin, la faune urbaine de Saint-Louis et Chicago. L’Amérique du début du siècle est intelligemment décrite, entre campagne attardée et isolée et progrès technique au sein des villes. Partout la misère, la déchéance physique, mentale, partout les drames humains, subis ou commis.
Les obsessions respectives des deux personnages sont magnifiquement écrites. La solitude glacée et frustrante, le manque sensuel et les désirs lubriques de Ralph crèvent la page, et se révèlent être ce que j’ai lu de meilleur en matière de littérature érotique. Les desseins machiavéliquement ourdis de Catherine sont eux aussi dignes d’attention et d’éloges. On ressent toute la force manipulatrice et dissimulatrice de la jeune femme. La phrase – je précise que la traduction est excellente ! – se fait même simplement diabolique quand elle évoque ses projets.
La complexité des sentiments amoureux qui attachent les personnages est finement mise en relief. Les méandres tortueux des pensées de chacun mènent lentement, mais sûrement, à la vérité sur les motivations réelles de toutes les actions. Le personnage de Catherine s’oppose à celui de Ralph pour bien des raisons. Catherine est une errante, perpétuellement en mouvement. Son odyssée a commencé bien avant sa rencontre avec Ralph. Lui est profondément attaché à son monde, il n’en sort pas. Il laisse les autres venir à lui. Catherine est un Cheval de Troie, riche de promesses et de tromperies. Elle fait le lien entre le monde extérieur duquel s’est retiré Ralph et le monde mouvant dont elle vient. La phrase s’attache brillamment à différencier les modes de fonctionnement des personnages. La narration est par moment aussi lourde que la chape de neige qui recouvre la campagne du Wisconsin. Mais elle s’emballe aussi au rythme du train qui entraîne Catherine d’un bout à l’autre du pays.
L’évocation des jeunes années de débauche de Ralph en Europe propose un arrière-plan intéressant au récit. Vieux continent et nouveau monde s’opposent. Mais les similitudes qui les caractérisent sautent aux yeux. Il y a dans la folie meurtrière des paysans du Wisconsin et dans l’effervescence des nuits de Saint-Louis un héritage typiquement européen, fait de distinction, d’élégance, d’atavisme, de crainte et de révolte religieuse.
Je sors de cette lecture complètement séduite et profondément impressionnée. Ce livre est le premier de l’auteur. Aucun doute que je suivrai attentivement ses futures productions. La quatrième de couverture cite des extraits de critiques parus sur ce livre. En voici un du News Observer pour ceux qui se demandent si le texte est fait pour eux: « Voici un roman qui va vous rappeler pourquoi vous aimez les romans. » Alors, séduits ?